« Le Doc Stupéfiant » consacre une heure et demie passionnante aux expressions de la sexualité féminine dans l’art et la culture. À voir en replay => 😀
Qu’est-ce qui fait jouir les femmes ? L’équipe de « Doc Stupéfiant », le magazine culturel présenté par Léa Salamé, s’est posé, ou plutôt a posé la question aux usual suspects, spécialistes des questions féministes et de la représentation des femmes dans l’art et la littérature. Devant la caméra se succèdent, pendant un peu moins d’une heure et demie, la journaliste Victoire Tuaillon (productrice du podcast « Les Couilles sur la table », sur Binge Audio), la critique de cinéma et essayiste Iris Brey (autrice du Regard féminin, L’Olivier, 252 p., 16 €), l’écrivaine Colombe Schneck, l’essayiste Maïa Mazaurette (chroniqueuse pour Le Monde)… Les hommes – l’écrivain Pascal Bruckner, l’éditeur Franck Spengler… – sont en minorité, mais pas absents pour autant.
Un sujet aussi vaste que celui du désir des femmes et surtout de son expression ne saurait tenir en un documentaire de cette durée, mais son approche en patchwork, condensée en quelques grands thèmes et de nombreuses petites touches, n’est pas dénuée d’une certaine efficacité. Sans épuiser le sujet, ce numéro de « Stupéfiant » pose des jalons, ouvre des pistes, fait entendre des points de vue qui ont l’intérêt de ne pas tous aller dans le même sens. A la clé, pas de certitude, mais une furieuse envie de relire Régine Deforges et de revoir Emmanuelle. C’est déjà beaucoup.
Diversité des idées
Pour défricher le champ de l’érotisme féminin, les journalistes Elise Le Bivic et
Elise Baudouin (réalisatrice de Pop féminisme, visible sur Arte.tv) convoquent l’apport de Colette, de la cinéaste Alice Guy, de l’autrice Pauline Réage ou encore de la photographe Laure Albin-Guillot. Commenté par les voix des femmes qui font en ce moment même vivre la révolution #metoo dans les médias et la culture, cet héritage se voit dépoussiéré, ravivé, controversé, discuté.
Ces échanges, un peu courts, donnent parfois l’impression d’effleurer leur sujet, mais la diversité des idées brassées tranche avec l’unanimisme souvent de rigueur lorsque l’on évoque la domination artistique du « male gaze » (vision masculine). Preuve, s’il en fallait, qu’il n’est pas si simple de renvoyer l’art à deux catégories, l’une féminine, l’autre masculine : lorsque les réalisatrices demandent aux intervenants de deviner si l’auteur de la photo qu’elles leur montrent est une femme ou un homme, la plupart se trompent.
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Comme souvent, les équipes de « Stupéfiant » ont fait appel à d’excellents clients. Les fils de Régine Deforges et de Delphine Seyrig parlent de leur mère avec pudeur, lucidité et tendresse ; Catherine Millet, dans une séquence réjouissante, évoque face à Léa Salamé sa sexualité libérée et son désir intact, même à 72 ans. Une visite au château de la papesse française du BDSM montre que, à 90 ans, Catherine Robbe-Grillet n’a rien perdu de sa libido – entendue dans son sens propre, celui de l’énergie vitale.
Rien de nouveau sous le soleil ? Pas faux. « Les femmes sont aussi immorales que les hommes, point à la ligne, personne n’a l’air de s’en être aperçu », martelait en 1994 Dominique Aury, autrice d’Histoire d’O (1954), sous le pseudonyme de Pauline Réage. De quoi relativiser la portée de la révolution à l’œuvre ? #metoo divise : aux voix enthousiastes de la journaliste Giulia Foïs et d’Iris Brey s’oppose Pascal Bruckner, qui y voit « un encadrement du désir », mais aussi l’historienne Virginie Girod qui craint « une réinvention du puritanisme ». De son côté, Maïa Mazaurette aimerait bien voir une femme diriger un Portrait d’un jeune homme en feu.
Source : LeMonde.fr