—Par Roland Sabra —
«L’artiste ne devrait pas être le juge de ses personnages, de ce qu’ils disent, mais seulement le témoin impartial. » Anton Tchekhov
« Daniel, artisan de poupées, viole sa fille Estelle à l’âge de 10 ans. La mère Judith, se fait complice en cachant Estelle chez une tante pour « sauver les apparences » en disant à tous que la fillette est devenue muette et folle.
Des années plus tard, la petite fille Estelle devenue femme revient à la maison en se faisant passer pour une cliente sous le nom de Pélopia, et commande une poupée à son image. Dans la maison, il y a aussi sa sœur, Brigitte, demeurée là, isolée, qui aime son père, devenu distant avec elle, d’un amour interdit, passionnel, et fantasmant du jour où elle pourra devenir son amante, son épouse… » .
L’auteur québecois Michel Marc Bouchard a écrit plusieurs pièces sur le thème des blessures de l’enfance. « Des yeux de verre » sont la reprise en 2007 d’une pièce écrite en 1984 « La poupée de Pélopia » et qui laissait à l’auteur un goût d’incomplétude. « À l’époque, je n’étais pas parvenu à aimer les personnages de cet univers troublé autant qu’un auteur se doit de le faire en les abordant avec tous leurs paradoxes et leurs vérités, leur obscurité et leur lumière. J’avais tenté de pardonner à un père qui avait meurtri l’âme de son enfant; de pardonner à une mère qui, par son silence, était devenue complice du crime de son mari. Finalement, j’étais juste parvenu à les juger en condamnant l’œuvre au manichéisme. Et les plaintes incessantes de la victime n’avaient réussi qu’à provoquer mon irritation.Après avoir maintes fois refusé que cette pièce mal-aimée soit à nouveau produite, l’obsession de l’œuvre inachevée m’a assailli et j’ai décidé de me réconcilier avec la promesse non-tenue, d’explorer cet ultime tabou qu’est l’inceste et d’en observer les protagonistes dans une situation où le crime originel n’a pas été soumis aux sanctions sociales. Des yeux de verre n’est pas une réécriture de La poupée de Pélopia. De cette première œuvre, il ne reste que l’anecdote. Vingt ans plus tard, éclairé par la pensée du grand Tchekhov qui pourfend toute moralité, j’ai voulu, tout comme lui, montrer ce que je ne comprends pas. »
La mise en scène de Valer’Egouy installe un malaise dés le début avec l’arrivée de Daniel, qui pendant un long moment silencieux va manipuler affectueusement deux poupées. Entre une mère qui parle beaucoup pour ne pas avoir à dire, un père mutique muré dans une culpabilité bavarde et une fille dont le cynisme n’est que le voile du désespoir ce malaise tout d’abord diffus va s’épaissir progressivement pour prendre le nom de l’inceste.
Brigitte Villard Maurel incarne avec justesse une mère dont on suppose qu’elle vivait dans l’ombre de son mari jusqu’au moment du crime dont elle va saisir l’aubaine pour prendre le pouvoir et désormais régenter « pour sauver les apparences ». La perruque noire et le maquillage surchargé s’ils durcissent le visage contribuent à « l’hystérisation » du personnage qu’elle assume sans état d’âme.
Juliette Mouterde bénéficie du rôle dont la palette de jeu est la plus étendue. Si l’humour est la forme achevée du désespoir elle en est, entre cynisme et dérision, par ses mimiques, par sa façon de se camper sur scène une bonne illustration. Elle laisse, à bon escient, subsister le doute quant à la réalité du passage à l’acte de ses fantasmes.
Les deux comédiennes déjà présentent dans un précédent travail de Valer’Egouy, confirment donc un potentiel révélé dans « Les Sardines Grillées »
Eric Bonnegrace, en artiste célèbre et adulé, en père aimé et violeur apparaît en retrait dans ce monde dominé par les personnages féminins. Il semble manquer parfois de hauteur notamment quand il doit changer de registre en passant de celui d’artiste sans créativité reproduisant sans cesse la même poupée à celui de démiurge quand il retrouve sa muse. Les costumes de scène dont il est affublé ne l’aident pas beaucoup.
Charline Lucazeau est la révélation de ce spectacle. Elle est une Estelle/ Pélopia tout à fait crédible. Un peu raide dans son corps, mais des circonstances particulières l’expliquent, la mobilité et la luminosité de son visage expriment un éventail de sentiments et d’émotions assez large. Forte et fragile, déterminée et indécise, elle sait dire un texte même si parfois cela peut dérailler. Mais c’était la première et il n’y avait pas eu de filage, pas d’italienne, ces représentations sans public qui permettent les ultimes ajustements. Metteure en scène, professeur en prépas HEC, professeur en classe théâtre, elle anime des ateliers aux lycées Schoelcher et Bellevue, elle ajoute comme comédienne une nouvelle corde à son arc et ce n’est pas la plus faible.
La mise en scène semble encore un peu trop linéaire. Un moment important, qui est sans doute le point de bascule de la pièce, celui où Estelle/ Pélopia, répète une scène d’enfant séductrice en se déshabillant devant son père manque de dramatisation. Ce n’est pas la pudeur de la comédienne qui est en cause, elle est tout à fait justifiée. Ce qui est sous-estimée c’est d’une part l’intensité dramatique de cette répétition d’un événement traumatique antérieur et d’autre part l’existence d’un avant et d’un après dans le déroulé de la pièce. Pélopia disparait et ne reste qu ‘Estelle la petite fille à jamais demeurée sous l’apparence de la jeune femme. Ce n’est là qu’un défaut de jeunesse. Le travail de Valer Egouy repose sur la direction d’acteurs, ce qu’il fait plutôt bien, quitte à se contenter de formes théâtrales un peu « pépères », si l’on peut dire, ou de scénographies plus illustratives que suggestives.
Tout le mérite du metteur en scène est de nous faire découvrir en Martinique un texte d’une grande force théâtrale , qui refuse tout manichéisme. En ces temps où l’on voit la suspicion de pédophilie étendre son ombre aux prêtres aux éducateurs, aux enseignants, aux artistes, aux médias à l’ensemble des acteurs sociaux, où les condamnations à l’emporte pièce précèdent le jugement et plus encore l’analyse, il n’est peut être pas inutile de rappeler que la structure familiale ( hétéro-centrée?) est traversée de désirs qui certes la constituent mais qui peuvent aussi la subvertir. Et si dans certains milieux , des ressources culturelles, matérielles, sociales permettent de masquer, de dissimuler l’inceste, de sauver les apparences la violence subie n’en n’est pas moindre. Un autre point fort du texte est d’évoquer la complicité de certaines mères avec les pères ou beaux-pères incestueux en faisant semblant de ne rien voir, de ne rien savoir quand elles ne sont pas allées pas jusqu’à précipiter leur fille dans le lit de l’inceste. Dans la pièce de Michel Marc Bouchard cette volonté de ne rien savoir ira jusqu’à la disparition de la victime du viol.
Les 30, 31 mai et 1er juin 2013 au Théâtre Aimé Césaire de Fort-de-France à 19 h 30
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