— Graziella Pogolotti —
Faire des recherches sur la préhistoire des politiques culturelles serait une entreprise difficile. Ceci impliquerait d’extrapoler un concept relativement récent à l´analyse des sociétés structurées très différemment à celle profilée par les temps de la modernité. Le surgissement d’institutions officielles conçues pour la convergence des notions de politique et de culture a longtemps tardé. L´action des mécènes, des groupes philanthropiques, des sociétés économiques des amis du pays, des cercles et des salons ont été des tentatives partielles pour combler une lacune de plus en plus palpable⋅ Dans ce domaine comme dans d´autres, la Révolution Française a marqué un changement décisif⋅
En fait, le processus déclenché par la Prise de la Bastille a renversé les derniers vestiges de l´époque féodale, redistribué la propriété de la terre et projeté au monde l´aspiration légitime du principe de l´égalité entre les hommes. La notion de patrie a déplacé le sentiment international du terroir de s´associer à l´idée de la nation. Les États Généraux ont été substitués par l´Assemblée Nationale.
Les œuvres d´art confisquées à la monarchie et à l´aristocratie émigrée sont devenues des biens publics. Symboliquement, le Louvre, le siège des rois, a acquis la fonction de musée. Peu à peu la nouvelle configuration de la société a imposé l´exigence de définir des politiques éducatives au niveau national. L´État a assumé la conception d´un système structuré depuis l´école primaire jusqu’à l´université, incluant la formulation des programmes d´études pour tous les niveaux et la formation des enseignants.
Le concept de culture est arrivé plus lentement. Dans un premier temps, les politiques se sont limitées à la protection des valeurs du patrimoine. L’art et la littérature sont devenus de la dépendance du mécénat à la suggestion vers un marché expansif et protéiforme, le livre et les spectacles ont bénéficié des avances technologiques. Les biens artistiques ont acquis la valeur d´échange et se sont convertis en marchandises. Tel était le courant dominant. Mais la complexité de la vie mène à la redéfinition des problèmes.
Il serait utile d´entreprendre une étude interdisciplinaire pour déchiffrer les facteurs qui ont contribué à modifier le concept de culture dans ses liens avec la société. Dans ces notes éparses, j´aspire seulement à montrer certains signaux. Nous devons au romantisme la revendication de la mémoire populaire exprimée en termes du folklore. La rupture radicale des langages artistiques de la part de l´avant-garde a été une tentative infructueuse pour se libérer de la dictature du marché. Le rôle du dessin industriel a approché les valeurs esthétiques à la vie quotidienne. Le développement de l´anthropologie a introduit un changement fondamental de perspective, alors que les transformations sociales du XXe siècle ont approfondi et intensifié les luttes anticoloniales. Aujourd´hui, la portée de la manipulation des valeurs culturelles comme instruments efficaces pour l´imposition des hégémonies est plus claire que jamais.
Proche de nous et très influente dans les milieux intellectuels et politiciens de cette partie du monde, la Révolution Mexicaine a offert un exemple précoce de l´élaboration des politiques culturelles. La déposition du porfiriato a déchaîné des forces sociales latentes dans les profondeurs de la nation. Pancho Villa et Emiliano Zapata ont conduit les demandes d´une révolution agraire. Ils ont convoqué, avec l’appui de certains intellectuels, les Indiens et les Métis marginalisés. Bien que la révolution mexicaine ait finalement aboutie à une révolution bourgeoise, l’œuvre entreprise par José Vasconcelos se maintient comme une référence historique à prendre en compte. Les muralistes ont impulsé l´enrichissement d´un imaginaire animé par les visages émergents depuis le bas. La diffusion de la lecture a disposé des bibliothèques et de la publication massive des livres à bas prix. Dans un effort de démocratisation, la culture et l´éducation se sont données la main.
Dans sa phase initiale, la Révolution d´Octobre a donné une attention particulière à la lecture. L´éclosion a coïncidé avec un moment d´intense créativité dans l´art et la pensé russe. À la hiérarchie conquise par la littérature depuis le XIXe siècle, se sont ajoutés l’éveil des arts plastiques qui la place à l’avant-garde de l’avance européenne, la vision renouvelée de l´architecture, le développement de la linguistique avec des répercussions incalculables et l´émergence de personnalités qui transformerait les études littéraires. Quelque chose de semblable surgissait dans le domaine du théâtre et du cinéma.
Les contradictions idéologiques ont très vite assombris les relations entre la politique et la culture. Dans un premier temps ce fit un débat ouvert. Certaines voix ont adopté des positions extrêmes au mode Proletkult et de la négation de tout héritage littéraire dépourvu de perspective marxiste. Lénine a dû intervenir avec son connu texte Tolstoï, miroir de la révolution russe. Le renforcement du stalinisme a converti en doctrine du Parti et de l´État une posture esthétique appelée « réalisme socialiste » qui impose une façon d´écrire, de peindre et de composer de la musique, met en place une censure stricte basée sur les lectures idéologiques primaires et soumet aux procès politiques des écrivains et des artistes conduit à la mort et au confinement dans des camps de concentration.
Un malentendu tragique brisa les bases d´une véritable politique culturelle socialiste. Le point de départ se trouvait dans des conceptions périclitées de la création artistico-littéraire, considérée comme le reflet direct d´une réalité comprise en termes métaphysiques. On confond l’art avec la propagande. On réclame un didactisme élémentaire, direct et instructif, formulé à partir d´un devoir être en contradiction évidente avec l´objectif réaliste.
Restreindre le terme de culture à l´idée du XIXe siècle associée aux beaux arts et aux belles lettres cache les complexes ramifications des liens avec la société. Les conséquences ont eu une répercussion à long terme et constituent un facteur à prendre en considération quant à l´effondrement du système. Le dédain pour les études anthropologiques, la délimitation de la culture populaire à un folklore figé dans le temps, la rare attention au développement des médias et l´affaiblissement de l´instrumentation analytique de la dialectique dans la perception des phénomènes historiques, ont fermé l´horizon aux expectatives de vie d´inspiration socialiste. De cette façon, les politiques culturelles se sont limitées à l’application d’une lecture politique, en marge de la véritable nature de la production artistique.
La contradiction fondamentale du monde contemporain se définie entre un pouvoir financier transnational soutenu par une pensée néolibérale qui imprègne tous les domaines de la vie et la défense des projets sociaux visant à l´épanouissement de l´être humain. Dans le premier cas, on annule et on instrumentalise la personne. Dans l’autre, on impulse la désaliénation de l´individu, le respect envers la nature et vers la diversité des cultures. Ce sont deux conceptions du monde et de la vie irrémédiablement antagoniques. Dans cette lutte, la subjectivité joue un rôle déterminant. C´est le contexte qui constitue la référence de base pour le dessin des politiques culturelles. Je vais continuer à aborder cette question dans des prochains travaux.