— Par Noah Fléchelles —
Il est temps que la France regarde toute son histoire dans les yeux. Le climat de protestation mondial généré par la mort de George Floyd aux États-Unis doit pouvoir nous permettre de guérir les cicatrices mémorielles encore bien présentes dans notre société aujourd’hui. Cessons ainsi de prétendre que la grande différence entre l’histoire américaine et celle de la France est que l’une d’elles s’est construite sur une société esclavagiste alors que la nôtre, non. Cela est tout simplement faux. Ce serait oublier le passé bien chargé des territoires ultramarins qui font pourtant « la fierté de la France » comme aiment à le rappeler chaque nouveau Président de la République. La Martinique, la Guadeloupe, la Réunion, et la Guyane sont tant de territoires qui ont été marqués profondément par les crimes contre l’humanité que sont l’esclavage et la traite négrière. Ces territoires ont, comme les États-Unis, été construits sur cette atrocité qu’est l’esclavage, et l’omettre ne fait que renforcer un sentiment déjà bien présent de racisme.
Ce serait aussi oublier que la France s’est largement enrichie sur le dos de ces esclaves. Ce serait oublier que nombre de Français ont des ancêtres plus ou moins éloignés ayant directement ou non, accepté, financé voire participé au commerce triangulaire. Ce serait aussi oublier de notre mémoire collective les nombreux descendants et descendantes d’esclaves que comptent notre République.
Alors non, cessons de vouloir comparer et agissons en France pour guérir ces blessures qui durent depuis trop d’années. Concernant l’abolition de l’esclavage, la destruction des statues de Victor Schœlcher le 22 Mai 2020 en Martinique, condamnables car en tout point unilatérales, auront au moins eu le mérite de relancer le débat historique concernant le rôle qu’ont joué les esclaves eux-mêmes dans leur libération. Schœlcher, figure renommée permettant ainsi à l’État français de se cacher derrière son courage pour mieux ignorer les zones d’ombre de son histoire. En quelque sorte, le discours étant : il est vrai que l’esclavage a existé mais c’est la République qui l’a aboli. Ce discours empêche une remise en question plus profonde de notre société, et surtout bloque la reconnaissance du rôle des esclaves dans les abolitions.
Un grand espace mémoriel et éducatif
L’État doit donc aller plus loin concernant sa politique mémorielle afin d’assumer pleinement ses erreurs du passé, et aller de l’avant. Ne pas oublier, ne pas simplifier l’histoire. Pour ce faire, quoi de mieux que la création d’un grand musée international de l’esclavage à Paris, comme proposé par nombre d’associations et collectifs, afin de rendre compte de la traite négrière française, de la réalité de l’esclavage dans ses colonies, mais aussi de son abolition dans toute sa complexité, de l’esclavage moderne également. En un mot, un grand espace mémoriel et éducatif permettant à la jeunesse de notre pays de s’instruire sur ces crimes contre l’humanité qu’a perpétués la France pendant trois siècles, afin d’éviter qu’ils ne réapparaissent.
Ce sujet a déjà été abordé par Monsieur Macron il y a deux ans, lorsque celui-ci a acté la création de la Fondation pour la Mémoire de l’esclavage que préside désormais Jean-Marc Ayrault. Il avait à l’époque réfuté l’idée de ce musée, estimant qu’il pourrait faire de l’ombre au Mémorial ACTe de Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. Mais non, deux musées ne seront jamais assez pour éduquer sur cette question-là. Et qu’on le veuille ou non, Paris est une capitale culturelle et touristique qui se doit d’accueillir en son sein ce musée d’envergure afin d’initier, et instruire les hexagonaux et touristes ne pouvant se rendre dans les Outre-mer.
Une autre proposition relayée notamment par Jean-Marc Ayrault dans sa récente tribune au Monde serait de créer un jour férié le 10 Mai de chaque année, commémorant ainsi l’abolition de l’esclavage. La date, déjà choisie aujourd’hui pour célébrer cette abolition comme journée nationale, permettrait à tous les Français de s’instruire et de comprendre cette histoire encore trop peu expliquée et de se rendre compte de son importance dans notre mémoire collective.
Dans le contexte actuel, il serait bon que le président revienne sur sa décision, et que soit créé ce musée et ce jour férié qui permettraient, à l’État français, comme cela a été fait pour la déportation des Juifs, d’assumer sa responsabilité dans la traite négrière et l’esclavage, afin de tenter de refermer ces cicatrices mémorielles encore bien présentes dans nos sociétés martiniquaises, ultramarines et françaises.
Comme le disait Serge Letchimy, député de la Martinique, « ce n’est qu’en mettant fin au racisme que nous pourrons dépasser les blessures de l’histoire, réparer les fractures du présent et regarder l’avenir en confiance ».
Parue initialement dans France-Antilles