— Par Guy Pollier —
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le témoignage de Monsieur Y.L. Monthieux qui a cette capacité de mettre en perspective notre actualité du moment dans la trace empruntée par notre Martinique depuis 75 ans.
Une telle durée a le mérite, sinon de juger les espérances des pionniers de la départementalisation aujourd’hui décédés, de voir le chemin emprunté et les nombreuses fausses routes qui nous conduisent aujourd’hui vers une impasse. Et nous permet surtout d’évaluer l’action de leurs héritiers qui n’ont pas eu la capacité à ajuster le cap en s’adaptant, décennie après décennie, aux évolutions du monde, enfermés dans des idéologies de conquête de pouvoir au service d’intérêts claniques et non à celui de la société martiniquaise. Dans leur impuissance à changer les choses et face à l’évidence d’un enchaînement d’échecs, la seule échappatoire est de dénigrer l’action de l’État et ce d’une manière de plus en plus ouverte et décomplexée. Et en relançant entre autres périodiquement le débat sur les mouvements migratoires organisés ou spontanés au gré des besoins de l’économie. L’économie cette notion si négligeable dès lors qu’on est fonctionnaire, donc assuré d’une garantie d’emploi et de rémunération à vie, et de fait majoritairement à l’abri du besoin.
Dans son papier, Monsieur Monthieux décrit très bien le caractère fantasmatique « du génocide par substitution » par la mise en avant de nombreuses nuances, échappant à la simple mathématique, qui ont régit les mouvements de population. Dans la noirceur de l’obscurité le fantasme est élevé au rang de la fantasmagorie dans des déclarations supposées apporter la lumière jusqu’à y voir des figures ou symboles diaboliques à faire tomber.
Quand le fantasme est érigé en mode de pensée, voire de culture, il est effectivement temps de revenir sur terre et de s’offrir une cure de désintox.
Sur la base d’une nécessaire réflexion qui dépasse le temps et la couleur de peau, pour que chacun prenne sa part de responsabilité dans l’échec de bien fonctionner collectivement, et dans la capacité à faire changer les choses. On gagnera ensemble ou pas !
Je ne saurais dans l’analyse suivante, jouer moi aussi avec cette notion de génocide dont la gravité et l’horreur interdisent toute banalisation ou utilisation dévoyée par respect pour tous les martyrs de l’histoire de l’humanité. Plus légèrement j’ose adopter l’idée que la Martinique s’est exposée, au fil du temps, à un grand remplacement lorsqu’il s’agit de ses productions agricoles et industrielles pour faire place à des importations de plus en plus massives de biens de consommation dont beaucoup ne nous étaient pas coutumiers et indispensables. Notre agriculture, bon nombre de nos industries, sont en ruines ou enterrées. Le bon sens n’a plus cours et le gout d’entreprendre, malmené par les désordres récurrents, est en voie de disparition et pour le moins lié au seul appât du gain.
L’échec est collectif et relève de l’incapacité des pouvoirs politiques et économiques, à travailler ensemble dans l’intérêt du Pays.
Ce qui n’est pas le cas par exemple à la Réunion ou l’intérêt général prime. Même si on était communiste et Président de Région comme a pu l’être Paul Vergès. Et les différences dans le développement du tissu d’activités économiques sont là : Infrastructures modernes, filières agricoles structurées, activités industrielles diversifiées génératrices d’emplois. Et il en faut avec leur pyramide démographique à nous faire envie.
Et nous ? Pour mémoire et dans un rapide inventaire pour tous et pour les plus jeunes d’entre nous :
Production d’ananas qui est passée de 20 000 tonnes /an à 400 tonnes qui nous vaut d’importer 2500 tonnes d’ananas du Costa Rica. L’usine du Galion aura produit 1000 tonnes de sucre cette année, alors que par comparaison à l’ile Maurice (ile de même taille) 3 usines produisent 600 000 tonnes de sucre ! Qu’attend-on pour fermer notre usine subventionnée et consacrer les cannes à la seule production de rhum qui peine à satisfaire ses contingents ? Que dire des autres filières en déshérence ou minées par des corruptions avérées.
Qui se souvient que la Martinique avait il y a 45 ans une usine de plasturgie à Saint Joseph ? Gérée au final en coopérative et tombée en ruine sur le Lauréat, rouge vif et droit dans ses bottes, qui l’occupait tel un cerbère. Qui se souvient que la Martinique avait une cartonnerie industrielle qui a fermé du jour au lendemain suite à des grèves sans fin qui mettaient à chaque fois en danger l’expédition de nos bananes ? Quelques chèques royalement distribués aux fauteurs de troubles ont réglé le problème en baissant le rideau dans l’indifférence générale. Le carton viendrait de France.
Dans ce concert, comment donner tort à nos potentiels industriels devenus importateurs et distributeurs ? Fini les « enmerdes » et à eux les marges. L’importation est assurément dans l’excès dès lors que de nombreux produits, en particulier alimentaires, sont venus concurrencer, voire détruire, nos productions locales et modifier nos habitudes alimentaires qui construisent notre identité. Les exemples sont nombreux et cela commence à l’école. La centralisation de la restauration scolaire s’est heurtée à la difficulté d’approvisionner en qualité et en quantité pour la préparation de milliers de repas standards confiés au secteur privé. De nouveaux types de consommation et en particulier des fast Food venus d’ailleurs (adieu Foulards..adieu Super-Madras), ont zappé l’approvisionnement local au titre du respect de leurs standards. Et la grande distribution dans une surenchère de l’offre de l’utile et du superflu s’est engouffrée dans cette escalade.
Importer massivement était devenue une évidente fatalité, pour mieux justifier une coupable facilité.
Dans ce concert discordant il serait salutaire que les productions agricoles et industrielles locales soient protégées (au-delà de l’effet de taxation pervers de l’octroi de mer) en limitant l’importation de produits similaires parfois médiocres. Dans un marché de libre concurrence cela passe par la création d’un cercle vertueux. Production d’excellence et au meilleur cout, appui d’une distribution volontariste et « citoyenne », et adhésion du consommateur à payer parfois plus cher. Dans un contexte d’inflation, ce n’est pas gagné mais je ne vois pas d’autre issue. Mais il faut s’y coller en se retroussant les manches.
Avoir et se faire confiance et arrêter d’agiter les drapeaux de la discorde, portés par des professionnels du désordre, soutenus par des guides sans boussole et sans foi qui voudraient édicter leurs lois à la source d’une pensée unique qui laisse peu d’espace à la contradiction. Il serait temps de retrouver une salutaire lucidité sur le chemin qu’on nous invite à emprunter.
A part l’État et les entreprises para-étatiques, je ne vois pas d’opérateurs extérieurs suffisamment téméraires pour investir chez nous à fonds perdus. Rien ne peut les « transporter » ! Nous ne faisons tout simplement plus envie ! Comment survivre à l’absence de désir ?
Le temps presse …et sans y être invité, je porte cette contribution à la réflexion commune dans ma légitimité de créateur d’activités et de valeurs, pour espérer infléchir des certitudes et des postures.
Guy POLLIER
Le 13 Octobre 2022