— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Alors que l’horizon financier de la France se voile de nuages sombres, l’exécutif semble se tourner de plus en plus ouvertement vers les collectivités locales pour réaliser des économies budgétaires. Les préoccupations concernant le déficit public s’intensifient, notamment avec les prévisions alarmantes de l’Insee, qui devraient révéler un déficit budgétaire encore plus élevé que prévu pour l’année 2023 soit 5,6% du PIB environ. Cette situation compromet sérieusement l’objectif fixé pour 2024, exigeant un déficit ramené à 4,4 % du PIB. Face à cette impasse, le gouvernement explore des voies pour réduire les dépenses publiques. Le ton est donné : des économies doivent être réalisées, mais les collectivités locales seront-elles mises à contribution ? La réduction des dépenses semble être la voie privilégiée, avec un regard critique porté sur les dépenses sociales et une réflexion sur de nouvelles réformes, voire des suppressions de prestations sociales. Pourtant, la question des collectivités territoriales reste en suspens, malgré une tentative opportune de les incriminer dans le creusement du déficit public.La mélodie du gouvernement reste la même : les collectivités devront faire leur part, alors même qu’elles ont déjà subi des coupes budgétaires conséquentes ces dernières années sous l’ère du quinquennat de François Hollande. Les appels à « ralentir les dépenses » semblent faire fi des réalités locales et du rôle essentiel des collectivités dans la dynamisation de l’économie locale.Le gouvernement envisage-t-il une nouvelle vague de baisse des dotations ou une révision profonde de l’organisation territoriale ? Les perspectives sont incertaines et source d’inquiétude pour les collectivités locales de Guadeloupe et Martinique qui pourraient être amenées à réduire leurs investissements, impactant ainsi l’activité économique.
Cependant dans le contexte de crise actuelle, la Guadeloupe a de nombreux défis à affronter nonobstant les autres problématiques à régler des nouvelles technologies et de l’intelligence artificielle et de leurs impacts délétères sur l’emploi. Elle a le taux de prélèvements obligatoires notamment les impôts locaux parmi les plus élevés de France, dans une économie ouverte. Donc, je pense, que ça devrait être une évidence pour tout le monde, qu’on ne réglera aucun des problèmes du pays en oeuvrant pour un changement institutionnel dans un contexte de réduction de la dépense publique. A ce propos nous réitérons que ce n’est pas la superstructure politique des institutions qui est en cause mais c’est l’infrastructure économique qui s’avère être la cause du mal développement ainsi que de la crise identitaire. Et pour cause, on a la redistribution sociale la plus forte, mais avec une réduction des inégalités qui se fait attendre. Donc aujourd’hui, l’enjeu du pays Guadeloupe, c’est : comment est-ce qu’on crée plus de richesse avec l’aide d’un nouveau modèle économique et social ? Comment est-ce qu’on mobilise notre tissu économique, et qu’on mette un frein à l’assistanat ? Comment est-ce que le gouvernement simplifie notre fiscalité pour répondre aux défis du pays sur l’emploi, sur les finances publiques, sur la décarbonation ? Comment protéger notre sole foncière et mettre en place la préférence à l’emploi local pour les guadeloupéens ?
Mais toutes ces questions risquent de demeurer vide de sens si le gouvernement s’attaque frontalement aux collectivités locales notamment à travers la réforme de l’octroi de mer et la baisse des dotations, car déjà l’on peut noter que plusieurs voix de la majorité s’élèvent pour pointer des dépenses « trop importantes » des collectivités et la nécessité pour celles-ci de « participer à l’effort » général de redressement des comptes publics. Et tout porte à croire que la solution qui va être privilégiée – comme le gouvernement l’a déjà entamé avec une première coupe de 10 milliards d’euros dans les dépenses de l’État en février – puis 20 milliards en 2025, sera une réduction drastique des dépenses publiques, et des annonces « désagréables » sur le plan social. Les dotations des collectivités locales et les dépenses sociales sont notamment dans le viseur et le chef de l’État Emmanuel Macron dit n’avoir « aucun tabou ». Le gouvernement réfléchit donc à une réduction des dotations et à une nouvelle réforme de l’assurance-chômage, voire à la suppression de certaines prestations sociales. Une baisse des dotations aurait un impact significatif sur les collectivités locales et territoriales de l’outre-mer. Ces régions sont souvent plus dépendantes des transferts financiers de l’État central en raison de leur éloignement géographique, de leur taille réduite et de leur économie moins diversifiée. Premièrement, une réduction des dotations pourrait compromettre la capacité des collectivités locales à fournir les services publics essentiels à leurs habitants. Cela pourrait se traduire par une diminution des investissements dans les infrastructures, les écoles, les hôpitaux et d’autres équipements publics, ce qui aurait un impact négatif sur la qualité de vie des citoyens.
Deuxièmement, une baisse des dotations pourrait également affecter le développement économique des régions d’outre-mer. Les collectivités locales jouent un rôle crucial dans la stimulation de l’économie locale à travers des programmes d’incitation à l’investissement, de soutien aux petites entreprises et de promotion du tourisme. Une réduction des ressources financières disponibles pourrait entraver ces efforts de développement économique. Troisièmement, une baisse des dotations risquerait d’aggraver les inégalités sociales et économiques déjà présentes dans les régions d’outre-mer. Ces régions font souvent face à des défis socio-économiques uniques, tels que le chômage élevé, la pauvreté et l’exclusion sociale. Une diminution des financements publics pourrait rendre plus difficile pour les collectivités locales de répondre à ces défis et d’améliorer les conditions de vie de leurs habitants.
Enfin, une réduction des dotations pourrait également compromettre la capacité des collectivités locales à faire face à des crises imprévues, telles que les catastrophes naturelles. Les régions d’outre-mer sont souvent exposées à des risques tels que les ouragans, les séismes et les éruptions volcaniques. Une diminution des ressources financières disponibles dans le contexte du changement climatique pourrait affaiblir la capacité de préparation et de réponse des collectivités locales à de telles crises.
En résumé, une baisse des dotations aurait un impact significatif et potentiellement dévastateur pour les collectivités locales et territoriales de l’outre-mer. Il est donc crucial que les décideurs politiques prennent en compte les besoins spécifiques de ces régions et veillent à ce qu’elles disposent des ressources nécessaires pour assurer le bien-être et le développement de leurs populations, car en fait une baisse des dotations de l’état entraînerait mécaniquement une diminution de la masse monétaire en circulation en Guadeloupe. La masse monétaire en circulation est importante dans les économies de la Guadeloupe et de la Martinique car elle influence la disponibilité de crédit, l’inflation, les taux d’intérêt et la stabilité économique générale de ces régions. Elle reflète également l’activité économique et la confiance des consommateurs et des investisseurs dans ces territoires. Les autorités économiques et financières notamment l’institut d’émission des départements d’outre-mer ( IEDOM) doivent donc surveiller de près la masse monétaire pour prendre des décisions politiques appropriées en matière de développement économique. Une diminution de la masse monétaire en circulation en Guadeloupe due à une réduction de la dépense publique pourrait entraîner plusieurs conséquences :
Ralentissement économique : Moins de liquidités en circulation signifie moins d’argent disponible pour les entreprises et les ménages, ce qui peut entraîner une baisse de la consommation et de l’investissement, conduisant ainsi à un ralentissement économique.
Augmentation du chômage : Si les entreprises réduisent leurs activités en raison de la diminution de la demande, cela peut entraîner des pertes d’emplois et une augmentation du chômage dans la région.
Baisse des investissements : Une diminution de la masse monétaire peut également dissuader les investisseurs de financer de nouveaux projets ou d’expansion, ce qui pourrait freiner la croissance économique à long terme.
Pression sur les taux d’intérêt : Une réduction de la masse monétaire pourrait exercer une pression à la hausse sur les taux d’intérêt, car la demande de crédit restante pourrait augmenter, ce qui rendrait le crédit plus coûteux pour les emprunteurs.
Ainsi au final, une réduction de la masse monétaire en circulation en Guadeloupe due à une réduction de la dépense publique pourrait avoir des implications néfastes pour l’économie locale, notamment en termes de croissance, d’emploi et de stabilité financière. Et comme d’habitude, cette façon de présenter les choses (« comment allez-vous ralentir les dépenses ? » ) est destinée à marteler que les « dépenses » des collectivités sont forcément de la « mauvaise dépense », une forme de gâchis d’argent public. En cherchant à faire oublier que les dépenses des collectivités, en investissement comme en fonctionnement, permettent de faire vivre le service public local, d’injecter des fonds pour la consommation des ménages, et créent, de surcroît, une quantité considérable d’activité économique pour différents secteurs comme le bâtiment et l’immobilier.
À l’heure où le gouvernement redoute la diminution de la croissance et une augmentation du déficit budgétaire et de la dette, est-il raisonnable de demander aux collectivités de ralentir leurs investissements ?
Mais alors, que prépare concrètement comme réformes le gouvernement pour empêcher une dégradation de la note de la France par les agences de notations ? Va-t-on aller vers une nouvelle période de baisse des dotations, ou vers un nouveau type de « contrats de Cahors » pour obliger les collectivités à réduire leurs dépenses ? Ou alors, la solution trouvée par le gouvernement sera-t-elle, comme le prône Bruno le Maire le ministre de l’Économie, de « rationnaliser l’organisation territoriale » en supprimant une strate de collectivités notamment certaines EPCI en Guadeloupe ? Toutes ces questions semblent clairement sur la table, et aucune d’entre elles ne constitue une perspective réjouissante pour les collectivités mais aussi pour les citoyens.Dans cette atmosphère de préoccupations économiques et sociales,une chose est claire : les collectivités locales devront s’adapter à un environnement financier de plus en plus contraint, tout en continuant à assurer leurs missions de service public. L’avenir de la réforme de la gouvernance locale en Guadeloupe et Martinique dépendra largement des décisions prises par l’exécutif hexagonal et les élus locaux dans les mois à venir, et de leur capacité à trouver un équilibre entre économies budgétaires et préservation du bien-être des citoyens.
» Vyé kanari ka fè bon soup »
Traduction : C’est dans les vieilles casseroles que l’on fait de la bonne soupe
Moralité : le changement de contenant n’est pas la panacée, bien au contraire….
Jean-Marie Nol, économiste