Des conjurés dominicains se rencontrent chez moi à Paris 

— Par Gary Klang —-

Je ne voudrais pas que cette magnifique histoire, qui me tient tant à cœur et me touche de si près, se perde à tout jamais dans les sables du temps. Une des rencontres, qui devait mener à la chute du régime de Trujillo, se déroula chez moi à Paris dans les années 60, au 34 de la rue Gay-Lussac.

Les conjurés étaient mon oncle, Antonio Guzman, qui mit fin au trujillisme et devint le premier président démocratiquement élu de la République Dominicaine; accompagné du secrétaire général du Parti communiste et d’autres opposants à Trujillo. Ils devaient tous se rendre ensuite en Angleterre, pour rencontrer le colonel Francisco Caamano, puis à Madrid où Juan Bosch, chef du Parti Révolutionnaire Dominicain, les attendait.

La discussion allait bon train sur la tactique et la stratégie à suivre, et le Camembert, arrosé de vin rouge, alimentait les échanges, lorsque soudain on frappa à la porte. Tout le monde se tut et j’allai voir qui c’était. Sans surprise – puisqu’il venait me visiter à peu près tous le jours – je vis mon ami Gérard Aubourg, Boubou le Fou pour les intimes, tout sourire comme d’habitude. Je lui expliquai la situation et lui demandai de m’attendre. Jamais je n’oublierai la réponse d’Antonio :

– Gary, en tant qu’haïtien, bien sûr que ton ami peut se joindre à nous, car nous formons deux peuples frères.

Lorsque l’opposition sortit vainqueur de la bataille et que mon oncle fut élu président, avec l’aide de Jimmy Carter qui menaça de représailles la racaille trujilliste en cas de grabuge, je pus faire rentrer Gérard Lafontant à Santo Domingo pour s’occuper de la question des braceros, les coupeurs de canne haïtiens. Mon oncle chassa le jour même de son investiture tous les trujillistes de l’armée et des principales institutions du pays, et les remplaça par des hommes à lui, dans le but d’éviter toute tentative de coup d’État de la part des fascistes de l’ancien régime. La page de la dictature était définitivement tournée.

Aujourd’hui, le calme règne à Saint-Domingue; il y a un métro dans le pays et ma cousine germaine, Sonia Guzman, a l’honneur de représenter sa terre natale à Washington.

Dommage que le beau rêve des deux peuples frères soit gâché par la haine de l’autre qui sévit actuellement en République Dominicaine.

Gary Klang