— Par Sophie Joubert —
Ce roman d’anticipation explore les nouvelles formes de contestation, entre intime et collectif.
Ah ! ça ira… de Denis Lachaud. Actes Sud. 432 pages, 21,80 euros. Ah ! ça ira… commence comme un épisode de la série américaine 24 Heures chrono. Rapide et efficace. Un groupuscule dont les membres se nomment Robespierre, Marat et Saint-Just enlève le président (fictif) de la République française. Leur objectif : « rendre sa dignité au peuple ». Déshabillé, séquestré, l’homme est jugé devant un tribunal révolutionnaire et reconnu coupable. Il est retrouvé mort dans un coffre de voiture. L’assassinat a eu lieu hors champ. Comme les hommes de 1793, les membres de Ventôse veulent, en coupant la tête de l’État, fonder « la possibilité d’une autre histoire ». Mais l’opération est un échec. Le groupe est mis en sommeil et Antoine, alias Saint-Just, arrêté par la DGSI et emprisonné. Fin du suspense et de l’acte I. Avant le basculement dans l’anticipation.
Le livre fait écho à un environnement multipolaire et aux communications rapides
À travers le destin de quelques personnages, Denis Lachaud a voulu embrasser tous les mouvements d’émancipation, de la Révolution française aux printemps arabes en passant par la Résistance et les mobilisations citoyennes de par le monde. Mais loin d’être un essai maquillé en fiction, Ah ! ça ira… est un véritable roman, très original dans sa forme et son projet, qui explore l’intime pour mieux traiter les questions politiques. Dès le début du livre, on adopte le point de vue d’Antoine, pris entre un engagement radical et des scrupules de père de famille. L’époque, qui évoque la violence des années de plomb, est au tout-politique. « L’intime ne peut tenir aucune place dans (les) explications », constate Chloé, la femme d’Antoine, quand elle tente de faire comprendre à leur petite fille que son père veut changer le monde.
En faisant courir son histoire sur vingt ans, le romancier met en miroir deux générations : Antoine, le partisan de la lutte armée, et sa fille, Rosa, devenue adulte à sa sortie de prison, en 2037. Coupé du monde pendant ses années de détention, l’ex-Saint-Just ne reconnaît plus Paris, sa ville, ni son époque. La Chine est devenue la première puissance mondiale. L’Europe est « un gigantesque site touristique » qui a inventé des zones de séjour temporaire où les migrants sont une réserve de travailleurs à bas coût. La crise du logement fait rage, la précarité atteint un point de non-retour, la colocation est devenue la norme. Cela ressemble fort à notre monde actuel, en pire. Dans Soumission, Michel Houellebecq imaginait un affrontement électoral entre un Parti musulman et le Front national. Chez Denis Lachaud, le système représentatif a perdu la partie et les citoyens manifestent leur mécontentement par des « non-votes » sur Internet.