— Par Jean-Marie Nol —
Au 1er janvier 2016, la Guadeloupe compte 394 110 habitants, soit 10 525 de moins qu’en 2011. Le constat est cruel , car la Guadeloupe se vide petit à petit. Cela représente 0,5% de baisse sur la période 2011-2016. La Martinique connait la même tendance, plus accentuée encore, près de 16 000 habitants en moins en 5 ans. Ils sont désormais 376 500 dans l’île sœur. Ce sont les deux seules régions de France à perdre des habitants.
Cette situation préoccupante témoigne d’un manque d’attractivité de la Guadeloupe et de la Martinique . L’attractivité d’un pays reflète sa capacité à attirer des capitaux étrangers mais également des hommes, afin qu’ils viennent s’investir sur son sol. En Guadeloupe comme en Martinique , malgré une attractivité toujours forte au niveau du tourisme , celle-ci s’érode et ce phénomène s’est récemment accéléré avec la baisse de la population . Or passer un seuil de population à la hausse ou à la baisse entraîne des conséquences financières (sur les dotations de l’Etat entre autres) mais aussi psychologiques (sur l’attractivité) .
Ce phénomène de perte de population est malheureusement accentué par une Crise du retour des guadeloupéens et Martiniquais : 80% des Antillais travaillant en France et à l’étranger ne veulent plus revenir vivre en Guadeloupe et Martinique .
Ils attendent avant tout un changement de mentalité dans le pays …
On l’aura compris : être «un département isolée hors influence des pôles de compétitivité » comme dit l’Insee dans son langage,est un handicap. Le dernier recensement de la population , pour l’Insee c’est double peine pour les départements concernés des Antilles : Parmi les régions françaises , la situation la plus dégradée se trouve en Guadeloupe (-0,5% par an) et en Martinique (-0,8%), chiffres supérieurs à ceux du précédent recensement.
En vingt ans, la crise de l’emploi a entraîné des départs massifs de jeunes depuis la Guadeloupe et la Martinique , qui rappellent l’exode économique du Bumidom des années 60 .Un bémol , toutefois : à la différence des années 60/70, il s’agit d’une migration d’installation en France hexagonale ou à l’étranger .« Cette année je pars, je ne reste pas au pays. » Une formule qui résonne de plus en plus aux abords des lycées de la Guadeloupe et de la Martinique . Une licence en psychologie ou biologie , une école de commerce, une école de communication ou encore une école d’ingénieur. Après le Bac, la plupart des jeunes guadeloupéens et Martiniquais partent poursuivre leurs études en France métropolitaine ou à l’étranger et une fois diplomés, y restent souvent définitivement .Trois jeunes originaire de Guadeloupe et de Martinique sur cinq vivait ainsi en 2017 en métropole, rapporte une étude sur « l’insertion professionnelle des jeunes ultra-marins » de l’Institut national des études démographiques (Ined).
La tendance ne devrait pas s’inverser dans les prochaines années. Ainsi la moitié des jeunes adultes ultramarins se disent prêts à quitter leur territoire s’ils trouvent un emploi ailleurs. Ils seraient ainsi 67% à envisager de partir de Guadeloupe. La raison ? Ils regrettent l’insuffisance de l’offre éducative et les chiffres du chômage, dont les jeunes sont les premiers touchés. Des pays attractifs dans les années 80, comme la Guadeloupe et la Martinique , assistent, impuissants, au départ massif de leur jeunesse.Mais, à la différence de leurs aînés, c’est non seulement une main-d’oeuvre qualifiée qui met les voiles , mais également des retraités à fort pouvoir d’achat .En effet, il n’y a pas que les jeunes qui émigrent, il faut souligner que de plus en plus de retraités guadeloupéens s’installent en-dehors de la Guadeloupe souvent pour rejoindre leurs enfants tous partis en France ou à l’étranger . Une émigration silencieuse – faite sans armes mais avec bagages – qui commence à inquiéter sérieusement . Ironie de l’histoire, alors que sa jeunesse fout le camp, la Guadeloupe voit débarquer sur ses rives des jeunes retraités métropolitains attirés par le soleil plus généreux et surtout des étrangers sans qualification appartenant à la sphère caribéenne .
Contours d’un phénomène en pleine mutation.
Entre 2000 et 2016, le nombre de guadeloupéens candidats au départ a fait un bond spectaculaire de 289%, selon l’institut des statistiques. La Guadeloupe a toujours eu une grande tradition d’émigration. Mais tout de même ! Devant l’ampleur du chômage – un jeune sur deux est sans emploi – et le poids des allocations, les autorités de fait poussent insidieusement la jeunesse guadeloupéenne à aller chercher du travail ailleurs. Des cohortes de jeunes diplômés, dont les secteurs des services , de l’industrie , du commerce , de l’agriculture et de la construction n’ont que faire, partent chercher du travail en France , USA , Allemagne, en Grande-Bretagne, au brésil ,en Chine ou au Canada. La réalité est tout de même inquiétante. Parce que le phénomène des départs à l’étranger est en forte progression. Et parce qu’il touche particulièrement deux populations : les jeunes diplômés –et parmi ceux-ci, les plus « proactifs » et les plus entreprenants ; ensuite, les plus aisés de nos retraités . Autrement dit, deux populations qui jouent un rôle clé dans la production de richesses, l’innovation, la croissance et le développement économique. En cinq ans, le nombre de jeunes guadeloupéens émigrés à l’étranger a été multiplié par quatre. Et ces deux dernières années, quelque 4000 guadeloupéens ont demandé une reconnaissance de leur diplôme en vue d’aller travailler sous des cieux économiques plus cléments. L’heure est grave: selon les prévisions de l’Institut national des statistiques , à ce rythme, la Guadeloupe devrait perdre 50 000 habitants ces dix prochaines années ! En proportion, cette hémorragie appliquée à la France équivaudrait à toute la population de la région des Pays de la Loire, vidée en trois décennie. Les démographes sont en tout cas formels : en matière de migrations , on n’a encore rien vu en Guadeloupe . Pas encore sortis, les chiffres des entrées et des sorties pour l’année 2018 vont donner le tournis. A l’évidence, c’est notre modèle de société tout entier qui est touché et questionné par l’essor de la mobilité des guadeloupéens . Dans les zones rurales et urbaines de la Guadeloupe , il ne restera bientôt plus que des personnes âgées ruminant les souvenirs de leur jeunesse, tant la saignée démographique a pris de l’ampleur.Un constat tragique est donc en train de s’imposer : la situation démographique de la Guadeloupe , plombée à la fois par un vieillissement de la population , une émigration incontrôlable en provenance de la caraibe , et par une natalité en berne, va bientôt menacer la viabilité même du pays Guadeloupe , d’autant que les jeunes sont les premiers à partir. Voir une élite potentiellement entrepreneuriale, ayant bénéficié de formations coûteuses financées par la collectivité nationale, s’installer durablement à l’étranger pour y créer emplois et richesses ne peut laisser indifférent. Tous les politiques de la région semblent pour le moment s’accommoder de la situation : le départ des jeunes diplômés et de la main-d’œuvre excédentaire permet de réduire les pressions sur le marché du travail, atténuant ainsi les tensions sociales et politiques. Dans une société laminée par un chômage structurel massif, sans perspective réelle de développement économique, rongée par un clientélisme systémique entretenue par des élites politiques pourtant officiellement « pro-européennes », les jeunes perdent tout espoir de changement, renoncent à s’engager dans l’arène politique, préférant tenter de réussir leur vie ailleurs.. Le retour au pays fait pourtant peur. Est-ce que je vais trouver un travail ? Est-ce que j’aurais le même salaire en rentrant ? Ces questions trottent dans la tête des diplômés, conscients des problématiques économiques de la Guadeloupe . Du coup, se pose une question qui ne relève désormais plus de la science-fiction : à quoi ressemblera dans dix ou vingt ans une Guadeloupe et une Martinique vidées de ses jeunes actifs et de ses forces vives ,et qui seront confrontées
dans la décennie à venir au spectre de la révolution numérique et de l’intelligence artificielle ?
Jean-Marie Nol