— Par Godefroy Gaillard —
Après six ans de mobilisation de différents collectifs anti-pub, la métropole lyonnaise a voté un ensemble de mesures coercitives visant à réduire la place de la publicité dans l’espace public.
« Exit les bâches sur les façades, les vitrines éclairées la nuit, les publicités invasives près des écoles : notre espace public mérite mieux », se félicite le maire EELV de Lyon, Grégory Doucet sur X (ex-Twitter), fin juin. Après six ans de mobilisation du collectif Plein la vue, la métropole a voté un ensemble de mesures coercitives destinées à limiter le volume publicitaire dans la ville. Une décision qui s’inscrit dans un mouvement de fond depuis la conquête écologiste d’une dizaine de grandes villes françaises en 2020.
En attendant sa disparition, la réduction drastique de la publicité extérieure se trouve depuis au cœur des agendas municipaux. Un objectif porté à la fois par l’enjeu écologique et la critique d’ « une place centrale du logiciel capitaliste », selon Aurélien Berlan, philosophe et maître de conférences à l’université de Toulouse-Jean-Jaurès.
« La fonction historique de la publicité est de permettre l’expansion des marchés, c’est-à-dire la marchandisation croissante de notre quotidien », ajoute-t-il. La pénétration des villes par des myriades de messages consuméristes assigne ainsi, à son corps défendant, le badaud à sa simple qualité d’acquéreur de biens et services.
Des propositions politiques pour revoir la réglementation sur la publicité émergent depuis une dizaine d’années, avec une accélération récente. La plus ambitieuse d’entre elles, au niveau national, est celle portée en début d’année par Delphine Batho, députée écologiste des Deux-Sèvres : une loi visant à interdire toute forme de publicité numérique ou lumineuse dans l’espace public.
L’écologiste y pointe notamment les panneaux numériques, diffusant des vidéos promotionnelles, qui constituent « une aberration écologique et énergétique ». Un constat que confirme un rapport de l’Agence de la transition écologique de juillet 2020, qui évalue la consommation d’un seul de ces écrans à 2 049 kilowattheures par an, soit la consommation moyenne d’un ménage pour l’éclairage et l’électroménager. Ce qui n’a pas empêché la majorité présidentielle, aidée par LR et le RN, de vider le texte de sa substance en commission.
Grenoble à l’avant-garde
Le principal frein, notamment pour les municipalités velléitaires, réside dans le manque à gagner : alors en campagne pour la mairie de Paris, Anne Hidalgo confie à l’AFP, en 2020, qu’il s’agit de « 40 millions d’euros de recettes » à trouver. Depuis décembre 2022, les panneaux publicitaires numériques de la capitale sont tout de même éteints la nuit. « La seule voie, c’est de ne pas renouveler les contrats de mobilier urbain et de baisser les frais de la mairie », analyse Thomas Bourgenot, porte-parole de l’association Résistance à l’agression publicitaire.
C’est le choix qu’a fait Grenoble (Isère), à l’avant-garde sur cette question en France, et qui montre que la réduction de la publicité en ville est d’intérêt général. La « première grande ville européenne à libérer l’espace public », selon la mairie, a, depuis l’élection d’Éric Piolle (EELV) en 2014, vu sa pollution visuelle réduite à peau de chagrin. Il ne reste aujourd’hui plus que 10 % des panneaux existants – qu’ils soient lumineux, numériques ou non –, il y a neuf ans, cette portion étant concentrée presque exclusivement sur les flancs de bus et de tramway.
À l’international, outre l’évidence havanaise, plusieurs métropoles importantes ont fait le pari de la « ville sans pub ». De Canberra à Chennai, en passant par la pionnière São Paulo, ces initiatives ont rencontré à chaque fois une franche adhésion citoyenne. Dans la ville brésilienne, la deuxième aire urbaine la plus importante au monde a éteint sa publicité progressivement depuis 2007. Quatre ans après le lancement du programme « Ville propre » par le maire de l’époque, Gilberto Kassab, qui a fait retirer près de 15 000 panneaux en un an, 70 % des habitants jugeaient « bénéfique » une telle décision.
Toutefois, si São Paulo a vu la publicité s’estomper dans ses rues, elle a dû, sous la pression financière, se résigner à ne pas la voir s’éclipser complètement. En France aussi, la population semble vouloir se passer de la pollution visuelle et consumériste. Selon une étude BVA réalisée en janvier, 85 % des sondés souhaitent la réduction du nombre d’écrans numériques publicitaires dans les villes.
« La rue reste le dernier endroit où vous pouvez parler à absolument tout le monde », rappelle Thomas Bourgenot, et il est urgent de ne pas l’abandonner aux marques, au risque de s’égarer, comme l’écrit le philosophe Frédéric Lordon, « dans le faux des images marchandes ».
Source : L’Humanité
De la suite dans les idées chaque semaine, l’Humanité explore une proposition qui est appelée à monter en puissance dans le débat. Aujourdhui : l’interdiction d’annonces publicitaires dans l’espace public.