— Par Jean-Marie Nol, économiste —
La crise du coronavirus va créer une rupture et transformer en profondeur l’économie de la Martinique et de la Guadeloupe ainsi que nos modes de vie, si bien que rien ne sera plus jamais comme avant. Nous sommes à la veille d’une vraie secousse et disons-le net « Au bord du gouffre ». C’est en somme ce que pense la plupart des économistes et spécialistes concernant l’impact de la crise sanitaire actuelle liée au Covid- 19 sur l’économie de la Martinique et de la Guadeloupe . D’ailleurs, la France est déjà entrée en récession selon une étude de la Banque de France annonçant une chute du PIB à 9% à fin 2020 . Les répercussions en Martinique et Guadeloupe se font déjà ressentir. Le tourisme est à l’arrêt. L’inactivité hôtelière sera difficilement rattrapable selon les principaux acteurs de la filière et la reprise ne s’annonce pas sans difficulté. Le tourisme est totalement sinistré en Martinique et Guadeloupe et les productions agricoles sont en berne et plus que jamais sous perfusion des aides et subventions publiques .
Le bilan de la fréquentation touristique de la destination Antilles pour le premier semestre 2020 reflète un contexte sanitaire extrêmement difficile et sans précédent avec un impact majeur pour la filière touristique .
Le bilan de ce premier semestre est particulièrement préoccupant pour la destination Martinique et Guadeloupe avec une baisse de 68,5% des visiteurs extérieurs
Fondamentalement, rien n’a encore changé en surface dans notre vie quotidienne, mais en profondeur les choses sont entrain de bouger à l’instar du mouvement des plaques tectoniques.
La société Antillaise n’est pas encore sortie transfigurée de cette crise. Les lignes, en revanche, ont déjà bougé.
Il est certain que les habitudes inscrites dans nos activités vont être transformées et seront obligées d’évoluer. Le coronavirus et la crise économique peuvent-ils conduire à une remise en question de notre modèle de société aujourd’hui ?
Nous vivons une période inédite : nos pays viennent de traverser une crise sanitaire sans précédent et s’apprête à affronter une crise économique et sociale majeure. Avec la crise du Covid-19, le nombre de pauvres explose dans le monde et la société Antillaise n’est pas à l’abri de la grande pauvreté.
Les mesures pour contrer la pandémie pourraient plonger dans l’extrême pauvreté une centaine de millions de personnes supplémentaires en 2020 et davantage en 2021, selon la Banque mondiale.
Désormais, à l’instar de ce qui se passe dans le monde, la crise se diffuse dans tout le tissu économique et social de la Martinique et de la Guadeloupe.
La récession économique que va causer la pandémie de Covid-19 n’est pas encore quantifiée, mais déjà cette question se pose : cette crise va-t-elle transformer l’économie Antillaise ?
Va-t-elle accélérer des tendances en cours ? Du rôle des collectivités locales et de l’Etat, aux habitudes de consommation, en passant par l’organisation du travail, voici quelques bouleversements possibles : La crise sanitaire va transformer l’économie de la Martinique et de la Guadeloupe.
La pandémie du coronavirus va induire des transformations radicales dans de multiples domaines. Ces transformations concerneront aussi bien l’organisation économique et sanitaire que les modes de vie et de nombreux aspects sociologiques. Beaucoup de ces transformations sont difficiles à anticiper. Certaines évolutions paraissent plus faciles à anticiper, même si leur ampleur demeure incertaine. Donnons en quelques illustrations dans les domaines économiques et sociaux.
Sur le plan économique, le choc du coronavirus va être le moment de l’entrée de la Martinique et de la Guadeloupe dans la quatrième révolution industrielle , avec une dynamisation des énormes potentialités de la révolution technologique portée par le numérique.
Mais ce qui est sûr c’est qu’il y aura sur le long terme un rapport beaucoup plus réfléchi et sensible à la consommation et aux problématiques sanitaires, écologiques, et technologique .
Deux évolutions économiques structurelles se dessinent déjà. Tout d’abord, celle du recours aux innovations associées à la révolution technologique des TIC et du numérique. Le télétravail et sa généralisation quand elle est envisageable ainsi que la numérisation accrue des échanges entre les entreprises. Cela appelle des transformations des modes de management, une nouvelle lecture du dialogue social, car la gestion des ressources humaines n’étant pas la même dans un univers où le télétravail est l’apanage des seules professions les plus qualifiées et intellectuelles et dans celui où il se généralise à de très nombreuses professions.
La crise sera un accélérateur de la tendance de l’«agilité» des entreprises : autonomie des équipes, recours plus important au télétravail… Au risque d’exclure ceux qui ne sont pas nés avec le numérique?
La vague en cours, qui précédait le Covid, de robotisation et d’intelligence artificielle va forcément accélérer parce qu’il s’agit de réponses dématérialisées.
Un tel changement est source d’économies, par exemple en termes de transports et de bureaux, mais il implique des transformations radicales dans les relations hiérarchiques. Et les acteurs, en particulier les entreprises et les travailleurs, qui ne sauront pas s’adapter à ces changements rapides pourront connaître un déclassement et de grandes difficultés… Mais cette crise peut être pour la société Antillaise , qui est loin d’être imprégnée de confiance et de culture civique, l’occasion de faire reculer la défiance, le corporatisme, la grève à gogo, et les divisions stériles qui la minent depuis longtemps. L’une des tâches qui nous attend sera de repenser la notion de dialogue social en entreprise, car le leadership de demain ne va pas fonctionner de la même manière. Il faudra être inventif et imaginatif pour donner la possibilité, au sein de la structure, de développer les choses autrement, notamment , avec le retour de l’État. L’épidémie a d’ores et déjà dopé le rôle joué par l’ Etat et les banques , qui déversent milliards après milliards pour essayer d’amortir le choc pour l’économie. L’obsession de l’ Etat est que l’activité puisse redémarrer après la crise, sans que des entreprises aient fait faillite. Il est le seul à pouvoir jouer un rôle à ce point systémique, et ça les acteurs politiques locaux doivent en prendre conscience .
À preuve, les plans de relance sous l’égide des états se multiplient à travers le monde pour soutenir les acteurs économiques dans la crise du coronavirus. Cet interventionnisme de l’Etat en Martinique et Guadeloupe peut-il être durable ou constitue-t-il une simple parenthèse ?
La réalité du débat actuel est qu’on a du coup une économie administrée dans beaucoup d’endroits et sur beaucoup de segments . Actuellement aux Antilles , l’Etat remplace tous les échanges, le marché est mis sur pause . Et quand la puissance publique se retirera,avec l’éventualité d’un futur régime d’autonomie, comment éviter la casse sociale ?
Il faut garder à l’esprit que l’argent circule toujours à la même vitesse en Martinique et Guadeloupe, mais cela ne devrait pas durer longtemps, car , le poids de l’endettement des acteurs économiques et des collectivités locales augmente aujourd’hui. Pour éviter cela, le gouvernement s’est lancé dans cette fuite en avant de la dette et la création monétaire en 2020 car c’était la seule solution pour éviter un effondrement de l’économie. Et c’est toujours l’unique solution que nous avons. Cette solution, loin d’être idéale, est dans notre système (c’est-à-dire un monde où le capital est libre) la seule possible pour éviter que les charges n’écrasent les acteurs de l’économie.
Sur le plan culturel, la crise sanitaire va cependant marquée les comportements et les réflexes de distanciation semblent voués à perdurer chez une part non négligeable de la population, d’où l’accentuation du processus déjà en cours d’individualisme des Antillais .
Avant qu’une nouvelle génération ne relève le défi d’un nouveau modèle économique et social , et fasse renaître une économie touristique et une agriculture conforme aux principes et idéaux de la départementalisation , dont nous avons tous besoin, la Martinique et la Guadeloupe vont vivre des heures sombres. Nous devons prendre ce nouveau défi très au sérieux, car les temps vont changer . Et ce n’est pas avoir une vision irénique de l’avenir que de le penser. Toutefois, il faut souligner que cela ne dépend pas entièrement de nous, dans la mesure où cette pandémie est en train de nous faire prendre conscience de la nécessité d’une autre forme de société fondée sur un renouveau de la production locale.
Dans la situation actuelle, il y a un début de prise de conscience de la nécessité d’une autre forme de développement pour la Martinique et la Guadeloupe , qui n’est pas nécessairement fondée sur le profit capitaliste … La société de demain doit changer la légitimité de son modèle actuel , qui ne devra plus être l’assistanat. L’une des prises de conscience qui pourrait être associée sera certainement celle des relations de proximité, qui pourrait contribuer à la réinvention des circuits courts. Les Martiniquais et guadeloupéens anticipent une modification de leur manière de consommer et mentionnent notamment l’envie de faire des achats plus locaux, en circuit court et de privilégier les petits producteurs, surtout lors des courses alimentaires. Pour consommer local, il faut une production locale. Une bonne partie des martiniquais et guadeloupéens attendent que les entreprises jouent le jeu et qu’elles se fournissent localement . Pour ça, ils comptent sur une action politique menée par la CTM, le département et la région Guadeloupe et surtout l’état, mais l’expansion en volume du produit intérieur brut (PIB), soit la fameuse «croissance», a fini par bénéficier dans nos sociétés Antillaises d’une adoration quasi religieuse. Et pourtant, nous allons peut-être devoir nous en passer, ce qui constitue un élément majeur à prendre en compte pour tout essai de prospective politique tendant à modifier nos institutions .
Par corporatisme ou clientélisme, trop de personnes critiquent la France et pourtant ils dépendent entièrement de l’État ; soit qu’elles en vivent confortablement parce qu’elles sont fonctionnaires ou travaillent dans des entreprises d’État ; soit qu’elles survivent grâce à des distributions d’allocations qui les entretiennent dans un assistanat qui leur apparaît finalement supportable et dont elles ne voudront pas se défaire !… Évidemment, dans ces conditions, toute tentative de réforme devient politiquement très difficile car la population, que d’aucuns disent si désireuse de changement, apparaît finalement très conservatrice et rétive à tout changement des institutions qui se fera, pense-t-elle, à son détriment ; confortée par des politiciens souvent issus eux-mêmes de la fonction publique et de son mode de pensée ! Nous continuerons donc dans le changement immobile, mais non sans risque de chaos, faute d’anticipation !
Évidemment, il faudra un jour en payer le prix mais cela, c’est une autre question !
Alors nous reste à méditer ce proverbe créole : »Akansyel pa riban ».(L’arc-en-ciel n’est pas un ruban.Il ne faut pas se fier aux apparences. )
Jean-Marie Nol, économiste