— Par Selim Lander —
On parle de la gastronomie à la française qui serait même un patrimoine de l’humanité. Force est de reconnaître que – quoi que nous en pensions – notre cuisine tient bien moins de place dans notre imaginaire que chez les Asiatiques, particulièrement les Japonais qui lui consacrent romans (e.g. Le Restaurant de l’amour retrouvé d’Ito Ogawa), mangas (e.g. Le Gourmet solitaire de Jiro Taniguchi et Masayuki Kusumi) et films (e.g. Les Délices de Tokyo de Naomi Kawase). Voici maintenant La Saveur des ramen du Singapourien Eric Khoo. Il faut peut-être préciser ici que les Asiatiques en général ont une tradition de la « gargote » (« petit cabaret où l’on donne à manger à bas prix » suivant mon Littré) bien plus développée que chez nous qui sommes encore marqués par la tradition de la « gamelle » pour les ouvriers, ou du déjeuner à la maison pour les petits bourgeois. Rien de tel en Asie où il est habituel de prendre son repas de midi (voire du soir pour les célibataires) dans la rue ou dans un modeste restaurant. La cuisine, même simple, est goûteuse. Les repas sont préparés devant et sous la surveillance des clients. La concurrence est vive, les consommateurs avertis, on ne s’étonnera donc pas que la qualité soit au rendez-vous.
Que les lecteurs de cette chronique soient ou non d’accord avec ce préambule, ils ne contesteront pas que les scènes de restaurant ou de bar sont omniprésentes dans le cinéma asiatique contemporain[i] (particulièrement japonais et sud-coréen). C’est encore plus le cas, évidemment, lorsque tous les personnages sont cuisiniers, comme dans les Délices de Tokyo ou la Saveur des ramen, deux films qui ne peuvent manquer de séduire le spectateur occidental, tant cette fascination pour la nourriture lui est – de fait – étrangère. Nous avons bien eu, au cinéma, La Grande Bouffe et Le Festin de Babette, mais on reconnaîtra sans peine que ces films, délires de scénaristes, traitent des situations hors norme. Rien de tel avec les deux films japonais qui sont d’abord ancrés dans le quotidien.
La Saveur des ramen est le roman d’apprentissage de Masato, un jeune cuisinier japonais. Né d’un père japonais et d’une mère chinoise, morte quand il était enfant, lorsque son père décède à son tour il part à la recherche de sa famille singapourienne. Les deux parents étaient cuisiniers comme la grand-mère maternelle, comme les oncles des deux côtés et la jeune femme animatrice d’un blog consacré à la gastronomie chinoise qui lui prêtera assistance. Autant dire que la plus grande partie du film se passe dans des cuisines et que nous assistons à la préparation de divers plats qui semblent tous aussi succulents les uns que les autres. De quoi faire venir l’eau à la bouche des spectateurs.
Mais le film qui nous balade du Japon à Singapour est loin de n’être qu’un « docu » culinaire comme on en voit à la télévision. C’est surtout un grand film sentimental qui raconte de manière très émouvante l’itinéraire de Masato sur les traces de sa mère, en s’aidant d’abord de vieilles photos qui le conduisent sur les lieux aimés de ses parents. La grand-mère singapourienne, enfermée dans la haine des Japonais depuis la deuxième guerre mondiale, refuse de le recevoir. Il réussira à la séduire dans une fin un peu convenue – où la cuisine, évidemment, tient sa part – sans que cela ne gâche le plaisir procuré par ce « mélo » exotique pétri d’humanité, où chaque comédien se révèle un personnage attachant.
Prochaine projection mardi 15 janvier à 19h30.
[i] Gardons-nous néanmoins d’oublier le Goût du saké de Yasujirô Ozu (1961), récemment programmé grâce à Tropiques Atrium.