— Par Charles Celénice, Pour l’URASS (Union Régionale des Associations du secteur Social et Médico-Social) de Martinique, le vice-président chargé de la vie associative —
La grave crise que connaît la Martinique depuis plusieurs décennies ne s’estompe pas, bien au contraire. Dans ce contexte, les associations d’action sociale et solidaire ont fort à faire. Les soutenir concrètement est devenu un impératif, car elles ont conquis une place incontournable dans l’activité socio-économique, au gré d’une courte histoire de seulement quatre siècles.
La société primitive, dans le cadre de laquelle la vie s’organisait en Martinique, a dû céder aux forces esclavagistes. Les capacités productives ont fait un bon, au prix d’une féroce exploitation et de la vie de millions d’africains déportés. Cela a contribué de façon significative à la richesse des classes dominantes européennes, et à la relative prospérité des populations de ces puissances colonisatrices. En brisant les chaînes qu’on leur avait mises, nos ancêtres ont imposé le passage de la société de plantation esclavagiste, à une société où dominent des rapports sociaux capitalistes plus contemporains. Cela a été un mouvement d’affranchissement social. Dans son prolongement, les idées de plus large émancipation sociale et de libération nationale ont germé, à la faveur notamment des deux guerres mondiales, des révolutions en Europe de l’est et en Asie, et des guerres d’indépendance anticolonialistes en Afrique.
Mais, concomitamment à la départementalisation, la vieille colonie a évolué, passant d’une société de production à une société de consommation et d’assistance. L’économie française n’avait plus besoin des spéculations agricoles tropicales, et, dans la droite ligne du pacte colonial, continuait d’interdire, de fait, l’industrialisation de la Martinique. L’exode rural massif jetait dans les bidonvilles des milliers de travailleurs qui, assez rapidement, allaient se retrouver dans des situations chroniques de sous-emploi et de chômage. De nombreuses luttes sociales et politiques se déroulèrent, qui virent de nombreux assassinats de travailleurs et de militants. Pourtant, aucun système économique ne fut mis en place, qui fut capable de répondre aux défis lancés par cette évolution. La Martinique se mit à vivre de transferts financiers, de plus en plus massifs. La crise des finances publiques françaises et européennes l’a plongée dans une crise profonde. Ces mutations ont toujours été accompagnées de mouvements associatifs, d’entraide, de solidarité : qu’on pense simplement au rôle des koud’men (entraide), des tontines (mutualisation)… Ce sont de fortes traditions, tant sociales, culturelles qu’économiques, qui ont ainsi pris forme. Sans elles, la misère et le désarroi des couches les plus populaires de notre société auraient été encore plus grands. Cet esprit de solidarité a contribué au développement d’un esprit de résistance à l’oppression et à l’exploitation.
Minima sociaux : trois fois plus nombreux qu’en France
La dernière explosion sociale de 2009 n’a pas permis de régler les nombreux problèmes qui avaient été soulevés par les foules en colère. Il a enfin été reconnu que les prix sont de 34 à 49% supérieurs en Martinique à ceux de l’Hexagone. Cependant, en 2012, les prix de l’alimentation ont encore augmenté de 4,3%, ceux de l’énergie de 5,7%. Il faut quand même noter que, globalement, les prix ont augmenté deux fois plus vite chez nous qu’en France.
Le chômage fait des ravages : selon Pôle Emploi, on compte 45 000 demandeurs d’emploi en Martinique en 2013, sans compter tous ceux qui ont renoncé à s’inscrire inutilement. Les offres d’emploi ont baissé de 30,7% en 2012, malgré toutes les déclarations sur les politiques de soutien à l’activité. Ces offres n’atteignent que 8 300 emplois, 5 fois moins que nécessaire. Dans le même temps, le nombre de bénéficiaires de l’assurance chômage a reculé de 13,1%, sous l’effet de la révision de la durée d’indemnisation du chômage.
L’augmentation de 5,7% du nombre de bénéficiaires du RSA ne compense pas les difficultés croissantes dans la population. Ce sont 3 fois plus de personnes qui touchent les minima sociaux que dans l’hexagone. Les inégalités sont de plus en plus criantes : on compte officiellement 20% de pauvres en Martinique. Ainsi, en 2012, la consommation des ménages a été inférieure au niveau de 2011. La jeunesse est la première victime de la crise économique et financière, et des désordres provoqués par les différents pouvoirs auxquels nous sommes assujettis. On compte 60% de chômage chez les moins de 25 ans. Les structures sociales et familiales se désagrègent inexorablement. Avec 14% d’illettrés, les ravages de l’échec scolaire massif ne peuvent plus être cachés. De plus en plus, c’est l’exclusion, la marginalisation, l’errance, la drogue ou la violence, un phénomène encore récent mais de plus en plus courant.
Aucune région française (en dehors des autres DOM) ne cumule autant d’indicateurs négatifs. Les défis à relever sont considérables.
Dans le secteur social et médicosocial aussi, nous sommes confrontés à d’insupportables insuffisances. A titre d’exemple, le taux d’équipement global pour les structures d’hébergement pour adultes handicapés est de 1,3 pour 1 000 individus de 20 à 59 ans aux Antilles, contre 3,9 dans l’hexagone. Trois fois moins! Le nombre de places installées en foyers d’hébergement pour 1 000 habitants de 20 à 59 ans est de 0,1 dans les DOM contre 1,2 en France. Douze fois moins! Au 1er janvier 2011, le taux d’équipement global pour les enfants handicapés, hors SESSAD (Service d’éducation spéciale et de soins à domicile), était de 4,7 pour 1 000 jeunes de moins de 20 ans contre 6.6 en France. Pour les Etablissements et services d’aide par le travail (ESAT), les chiffres sont tout autant en notre défaveur : 2,1 places chez nous, contre 3,4 en France.
C’est encore pire dans le secteur des personnes âgées. Selon les prévisions de l’Insee, 4 martiniquais sur 10 auront plus de 60 ans en 2040 et les jeunes de moins de 20 ans ne représenteront plus que 2 Martiniquais sur 5 : c’est notamment le triste résultat des politiques d’émigration forcée des années BUMIDOM. Nous serons, à ce moment-là, le 2e département le plus vieux de France. On connaît l’insuffisance notoire de lieux d’accueil pour cette frange de la population.
Face à l’ampleur des besoins en équipements, aux crédits de fonctionnement méprisant les surcoûts réels, aux prestations sociales indexées sur celles de l’hexagone malgré la plus grande cherté de vie, les martiniquais veulent que justice leur soit rendue, notamment en augmentant l’effort financier en leur faveur. Il faut cesser de fragiliser les populations les plus vulnérables, en même temps que les structures qui s’en occupent. Maintenant, il faut apporter des réponses concrètes aux enjeux du moment.
Les associations sanitaires et sociales ont, depuis longtemps, apporté leur aide aux plus défavorisés de notre société. Malgré les insuffisances de l’information statistique, on estime que le nombre total d’associations est compris entre 6 300 et 7 300 en Martinique. Le nombre de bénévoles est évalué entre 52 500 et 61 500. En 2011, on comptait 719 établissements employeurs associatifs de 8 720 salariés, soit 11,9% de l’emploi total du secteur privé. Dans ce total, les associations du secteur sanitaire et social représentent 1 100 à 1 250 structures, dont 180 associations qui emploient au moins 3 926 personnes. Ces emplois, non délocalisables au demeurant, ont augmenté de 56,2% entre 2000 et 2011, tandis que, sur la même période, l’emploi dans l’ensemble du secteur privé n’augmentait que de 16,3%.
La souffrance ne peut durer
Les secteurs marchand et public ne peuvent assurer seuls un développement socialement acceptable de la Martinique. Reconnaître le rôle des associations de l’économie sociale et solidaire est capital. Elles ont développé une connaissance de la société, de la culture et de l’identité martiniquaises, des attitudes et des aptitudes que nul ne peut contester. Elles sont des spécialistes du lien et du maillage social, de l’action sociale souple de terrain, et doivent être appuyés dans leurs initiatives. Il leur faut des conditions favorables au bénévolat, au renforcement des capacités professionnelles de service à la population, à l’essor de la recherche fondamentale et appliquée pour fournir des réponses valables, à la formation des acteurs pensée en fonction des réalités socio-économiques, culturelles et identitaires, au développement de centres de ressources, de plateformes d’ingénierie, de mutualisation d’achats, de partenariats, à la mise en oeuvre de dispositifs spécifiques conçus pour adapter leur travail, à une meilleure intégration dans l’environnement caribéen…
Les pouvoirs publics doivent comprendre cela. La trop grande souffrance des populations ne saurait durer éternellement.
Jeudi 27 juin 2013
Charles Celénice, Pour l’URASS (Union Régionale des Associations du secteur Social et Médico-Social) de Martinique, le vice-président chargé de la vie associative