Du 24 août au 17 octobre 2018 à la Fondation Clément
«Décolonisons le raffinement» Pour ne pas le laisser aux colons ? Pour se l’approprier ? Pour en inventer une autre vision ? Une autre forme ? On peut lire ainsi le titre de l’exposition d’Édouard Duval-Carrié visible jusqu’au 17 octobre 2018 à la Fondation Clément, tant la méticulosité dont l’artiste fait preuve dans la composition de ses œuvres est une évidence. Un travail soigné, une grande précision, exigeant dans le moindre détail, englobant dans le tableau une attention particulière au cadre sont des caractéristiques du travail d’ Édouard Duval-Carrié. Il en est d’autres plus essentielles. Raffinement ? Le mot émerge dans la langue au moment où la source principale de la richesse européenne provient de la culture de la canne. Sucre et culture raffinés procéderaient-ils d’une même origine ?
Né à Port-au-Prince, sa famille fuit le régime de Duvalier, se réfugie à Porto Rico puis au Canada où il obtient un baccalauréat es art avant de s’exiler à Paris où il s’inscrit à l’ École nationale supérieure des beaux-arts de Paris en 1988. Après plusieurs années passées en France il s’installe à Miami, au plus près de son pays d’origine sans y être tout à fait, intimement lié à la diaspora haïtienne.
Le questionnement qui parcourt l’œuvre peut se formuler de la manière suivant : Comment réinterpréter avec un regard neuf la tradition caribéenne en l’extirpant d’une vision occidentalo-centriste ? A ce titre l’artiste présente une série de gravures du Royaume de ce monde roman d’Alejo Carpentier, célèbre pour son style baroque et sa théorie du réel merveilleux, que les critiques identifieront au réalisme magique. L’histoire prend place au Cap Français à Saint-Domingue à l’aube du XIXe siècle. Ti Noël est un esclave noir qui parcourt la ville avec son maître, M. Lenormand de Mézy dans un contexte révolutionnaire marqué par la révolte des Noirs et l’exil des colons. Le livre à fasciné Édouard Duval-Carrié qui l’a lu et relu tant de fois qu’il le connaît presque par cœur. Il opte le point de vue supposé de T-Noël dont les aptitudes à la métamorphose sont une invite à l’expérimentation. Il s’y convertit en utilisant des matériaux très modernes comme le plexiglas avec une mise en lumière très étudiée, très contemporaine.
Dans la série Memory Windows les œuvres sont composées de différents matériaux, de toutes sortes d’images, illustrations photos personnelles ou tirées d’Internet mais toujours recomposées sous forme d’assemblage retro-éclairé. Il se dégage de cette série comme une vague réminiscence colorée d’indianité qui souligne, sans vraiment l’affirmer, le multiculturalisme qui sous-tend l’ensemble du travail d’ Édouard Duval-Carrié.
Les trois superbes soukouyan du folklore caribéen, ces hommes hybrides à chevelure végétale, réalisé à partir d’images de micro_organismes puisées sur le web, retravaillées et ajustées pour une image de corps sans peau sont comme un clin d’œil aux portraits polymorphes d’un Giuseppe Arcimboldo au maniérisme célébré dès le XVIè siècle. Le siècle du commencement de la colonisation intensive.
Et puis il y a ce navire sucrier, suspendu dans les airs, moitié vaisseau spatial moitié sous-marin, extrait d’une flotte nombreuse, niché au cœur de la Caraïbe, porteur d’esclaves, de richesses, d’outils, de machines mais aussi et surtout peut-être de modes de vie, de façons de voir de sentir le monde, de bouquets bariolés de fleurs et d’épines sauvages et apprivoisées, aux senteurs multiples des cultures hétérogènes qui de confrontations en affrontements allaient donner naissance, au-delà de la modernité de leurs conditions d’apparition, à la contemporanéité dans laquelle Édouard Duval-Carrié s’inscrit pleinement pour son bonheur et celui ce ses visiteurs.
Fort-de-France le 24/08/2018
R.S.
Évènements associés
Dimanche 26 août 2018
10h – Conférence d’Anthony Bogues : « Histoire merveilleuse : une esthétique dans l’art d’Édouard Duval-Carrié ».
11h – Visite commentée par l’artiste
Samedi 22 septembre 2018
19h – Ciné-expo : carte blanche à Édouard Duval-Carrié.
Assistance mortelle, un documentaire de Raoul Peck, États-Unis,2012, 1h40.
Dimanche 7 octobre 2018
15h – Ateliers créatifs famille
Inscription obligatoire sur fondation.clement@gbh.fr