— Par Matthieu Croissandeau —
Quels mots trouvera-t-il pour défendre sa décision […]? On peine à imaginer les contorsions auxquelles va devoir se livrer le président de la République tant il nous paraît impossible de justifier l’injustifiable. Commencée dans l’horreur des attentats, l’année 2015 s’achève dans le déshonneur d’une mesure qui marquera de façon indélébile la chronique du quinquennat. Et l’histoire de la gauche en général.
François Hollande n’a pas inventé la déchéance de nationalité et il faut le rappeler à l’heure où beaucoup s’indignent : cette disposition existe déjà pour les bi-nationaux naturalisés depuis moins de quinze ans, condamnés pour un crime ou un délit portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation. Il y a donc déjà, de fait, deux catégories de citoyens devant la loi : ceux qui sont susceptibles de perdre leur nationalité et les autres. Etait-ce une raison d’ajouter de l’inégalité à l’inégalité ? Certainement pas.
Une portée emblématique détestable
Il faut rappeler aussi que cette mesure n’a pas pour vocation de dissuader de futurs kamikazes, ni d’empêcher le moindre attentat. Elle n’est pas une arme contre le terrorisme, mais « un acte symbolique fort », a d’ailleurs reconnu le Premier ministre.
Parlons-en des symboles justement ! Il n’est pas besoin d’avoir lu Levi-Strauss pour savoir qu’ils n’ont pas de signification intrinsèque et invariable, qu’ils ne sont pas autonomes vis-à-vis du contexte. Et c’est précisément là que le bât blesse, tant la portée emblématique de cette mesure est détestable.
Au moment où la France n’a jamais eu autant besoin d’affirmer sa cohésion, la proposition présidentielle jette en effet le poison de la division dans la communauté nationale. En l’étendant aux seuls binationaux nés français et non à l’ensemble des citoyens – créer des apatrides est juridiquement impossible – elle envoie le message subliminal que ceux là seraient par nature moins français que les autres. Ou en tout cas plus suspects. Elle ressuscite à sa façon les mythes de la cinquième colonne ou de la double allégeance et fait planer un doute pernicieux sur une partie de la population : après tout, s’ils sont les seuls à être concernés, c’est bien que le problème vient de là…
S’il fallait un symbole fort après les attentats, et on veut bien l’admettre, d’autres mesures auraient pu remplir aisément cet office. Depuis quelques jours, plusieurs voix ont ainsi proposé d’appliquer aux terroristes condamnés, quelque soit leur statut de citoyen, la privation des droits civiques ou le rétablissement de l’indignité nationale.
Tout n’est pas permis en politique
Mais plus que tout, c’est l’opportunisme d’une telle décision qui paraît aujourd’hui misérable. Que le chef de l’Etat se saisisse de l’émotion des Français pour renier ses principes et jouer aux apprentis sorciers dans l’espoir de coincer la droite et préparer 2017 en dit long sur la façon dont il compte gérer la fin de son mandat. Tout n’est pas permis en politique. Il y a des volte-face qui ne passent pas. On ne peut pas dénoncer la déchéance de nationalité à grand renfort de principes, de valeurs et de trémolos dans la voix il y a cinq ans et la proposer aujourd’hui comme si de rien n’était sous les bravos et les vivats du Front national. A moins de vouloir ancrer une bonne fois pour toutes dans les têtes l’idée que la parole politique n’a plus aucune valeur…
Comme « L’Obs » le prône depuis le désastre civique des régionales, il est décidément plus urgent que jamais de #toutchanger pour redonner du crédit à l’action publique. Et d’en finir avec ce cynisme irresponsable.
Matthieu Croissandeau