L’écrivaine, éditrice, féministe et ancienne chroniqueuse à l’Humanité, membre du conseil d’administration des Amis de l’Humanité, Régine Deforges, est décédée jeudi soir. A l’âge de 78 ans, ce sont les suites d’une crise cardiaque qui l’ont emportée à l’hôpital parisien Cochin.
« Je crois que les politiciens craignent l’écrit. Ils s’accommodent éventuellement de la presse, en raison de son caractère éphémère. Mais les livres restent toujours quelque part. On m’a déjà expédié des notifications de destruction de mes livres par le feu, dans certains pays où ils ont été traduits. Cela provoque pour le moins un malaise… » racontait Régine Deforges à Dominique Widemann de l’Humanité.
Comme écrivaine, femme, chroniqueuse, éditrice, elle est restée entière, combattante malgré les attaques incessantes dont elle fut victime. Née le 15 août 1935 à Montmorillon dans la Vienne, Régine Deforges a écrit une quarantaine de livres, dont plusieurs textes érotiques, plaidant pour que les femmes vivent librement leur sexualité. Autodidacte, elle a longtemps été libraire avant de créer, aux côtés de Jean-Jacques Pauvert, une maison d’édition, « L’Or du temps », à la fin des années 60. De nombreux ouvrages édités (comme « Le Con d’Irène » de Louis Aragon) ont fait l’objet d’interdictions diverses et de poursuites pour outrage aux bonnes moeurs. Elle est bien entendu l’auteure à de la saga à succès « La bicyclette bleue », adaptée au cinéma avec Laetitia Casta. Cette série de dix romans parue chez Fayard, commence en 1983 par « 101, avenue Henri Martin » et achève en 2007 par « Et quand vient la fin du voyage ».
« Je pense que la littérature doit être dérangeante, dans une période qui offre peu de bouleversements émotionnels. […] On n’est jamais innocent quand on écrit, quand on se laisse envahir par ce désir. J’ai écrit dans une grande joie, ce dont je me méfie d’ordinaire » racontait-elle. Sur son parcours dans littérature érotique, elle disait en 1997 lors de la publication de « l’Orage » : « Au départ, j’avais simplement un goût certain pour ce genre littéraire. J’avais lu tout ce qui était publié en français, en anglais ou en allemand. J’ai monté ma première maison d’édition parce qu’on ne trouvait pas ces ouvrages en librairie. C’était sale et clandestin. J’ai publié «le Con d’Irène» d’Aragon le 22 mars 1968, date emblématique. Deux jours après, le livre était saisi et j’étais embarquée par la Brigade mondaine. Un inspecteur m’a alors prédit deux ans d’enfer si je poursuivais dans cette voie. Tout s’est réalisé, les saisies, les amendes, les menaces d’emprisonnement, l’endettement… C’est drôle, le chemin parcouru jusqu’à «l’Orage». Personne aujourd’hui n’oserait s’avouer choqué. J’avais, bien sûr, un désir de provocation mais pas seulement. Je plaide aussi pour l’acceptation d’un certain mode de pensée lié à la littérature érotique. Personne ne peut prétendre avoir réglé ses problèmes avec son propre corps, sans parler de celui des autres. On n’explique toujours pas la sexualité. Face à un texte érotique, on se raconte une histoire, on crée des images, on installe peut-être moins de chicanes devant ses émotions.
La sexualité des hommes et des femmes est radicalement différente. Pendant des siècles, les femmes n’ont pas eu «les mots pour le dire». Au début du siècle, Rachilde, qui avait dix-huit ans, a écrit «Monsieur Vénus». C’est très audacieux mais très métaphorique. Je suis frappée aujourd’hui par les jeunes femmes qui écrivent «naturellement» ce type de littérature. Les femmes se prennent beaucoup moins au sérieux que les hommes. Ces femmes écrivains ont une bonne santé réjouissante. J’ai écrit très peu de littérature érotique, mais j’en ai publié beaucoup. »
Et les archives ?
Régine Deforges a été chroniqueuse à l’Humanité de 1997 à 2005. Les archives sont donc extrêmement nombreuses. Ses textes sont librement disponibles, mais malheureusement assez peu organisés. Trouver les chroniques « Pêle-mêle » de Régine Deforges..