—– Par Yves-Léopold Monthieux —
Quelle leçon peut-on tirer des évènements dits de décembre 1959 en leur 61ème anniversaire ? Bien que cette date fût l’histoire d’un incident fortuit, ses répercussions en ont fait le moment peut-être le plus significatif de l’assimilation, non seulement en Martinique mais dans les 3 autres vieilles colonies. Elle a permis de trancher durablement le hiatus entre le rapporteur de la loi d’assimilation Aimé Césaire et les intellectuels de l’AGEM qui ne le lui ont jamais pardonné. Certains ont vu dans cet évènement l’expression du mouvement émancipateur qui traversait le monde ; d’autres, le sursaut d’un peuple accablé par la misère ; d’autres encore, la révolte de ce peuple contre l’oppression du système colonial. Ce n’était pas encore Moncada ni le coup de main contre la caserne du Fort St Louis, mais on y songeait peut-être. Bref, dans la foulée de la nouvelle découverte du 22 mai par Armand Nicolas et à la veille des déboires des jeunes de l’OJAM, la notion de nationalisme martiniquais pointait le nez. Sauf qu’à la commission qui porte son nom, l’historien Benjamin Stora, célèbre pour ses travaux sur les colonies françaises, infirme les affirmations de la doxa. Non, dit-il, « décembre 1959 n’était pas une émeute politique ».
Force est de constater que 60 ans plus tard, le nationalisme n’a pu conquérir que la parole verbale et se manifester que par des symboles (drapeau, inscriptions, déboulonnement de statues). Par ailleurs, inquiet des bruits du dehors, soucieux de la montée d’une jeunesse nombreuse inoccupée et conscient que les attentes de la départementalisation n’étaient pas au rendez-vous, l’Etat allait réagir en mettant en œuvre un véritable paquet de mesures qui seront bien reçues par les Martiniquais. Les principales d’entre elles furent le service militaire adapté (Sma), le Bumidom, l’Afpa, la réforme foncière, l’abattement fiscal, les quotas d’exportation, la multiplication des collèges, les lycées professionnels, le lycée Frantz Fanon, l’université des Antilles et de la Guyane, les Maisons de jeunes et de la culture, des équipements sportifs et même un organe moderne d’informations. En effet, financé par l’Etat, le quotidien France-Antilles fut un facteur de liaison essentiel entre toutes les activités générées par cette batterie mesures et la population.
Nul ne sait si ces progrès auraient eu une telle ampleur sans le déclic qu’ont involontairement provoqué les incidents de décembre 1959. Nul ne sait ce qu’il en serait si le général de Gaulle qui était particulièrement attaché au rayonnement de la France n’avait pas été président de la république. En effet, on voit mal un président plus faible, moins soucieux de prestige et se situant à la jonction des 4ème et 5ème Républiques, prendre des mesures aussi clivantes et déterminantes pour des ex-colonies. Il convient de souligner l’intérêt du général pour le maintien des terres françaises d’outremer, y compris le rocher inhabité de Clipperton dans le Pacifique qui est visité une fois par an. Ce fut son souci, en 1946, pour ce dernier et pour les départements des Antilles et de la Guyane, et plus encore dans les années 1960 où, au lendemain de la perte de l’Algérie, les aéroports du Raizet et du Lamentin constituaient des étapes stratégiques entre l’Hexagone et Muruora. Il n’est pas inintéressant de souligner pour l’histoire que la Martinique qui avait déjà été, fut-ce symboliquement, la plus en vue des vieilles colonies et qui, par ailleurs, se veut d’avoir été la première des « Quatre » à avoir aboli l’esclavage, fut encore à raison de ces incidents, à l’origine de leur évolution vers une plus grande assimilation. Oui, décembre 1959 qui avait donné de fausses espérances aux nationalistes martiniquais fut une étape essentielle de l’assimilation.
Fort-de-France, le 21 décembre 2020
Yves-Léopold Monthieux
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