— Par Yves-Léopold Monthieux —
Voilà quelques questions que tout Martiniquais devrait se poser à la veille de l’anniversaire des incidents des 20, 21 et 22 décembre 1959. Les réponses ne sont contenues dans aucun manuel scolaire.
Qui sait qu’un banal accrochage entre deux véhicules sur la place de la Savane de Fort-de-France, un dimanche soir de décembre 1959, a été à l’origine de la plus grande transformation que n’ait jamais connu le paysage martiniquais depuis l’apport de la culture de la canne à sucre, au 17ème siècle ?
Qui sait qu’au cours des années 1960-1970, au lendemain des incidents de 1959, une réforme foncière, qui ne fut pas une réforme agraire, a permis de faire passer des milliers d’hectares de terres agricoles des mains des békés à celles de petits agriculteurs martiniquais ?
Qui sait que la réalisation de cette réforme a pu se réaliser en dépit d’obstacles parfois insoupçonnés ?
Qui sait que depuis ces années-là, le spectacle de la parcellisation de milliers d’hectares a remplacé le paysage uniforme des cannaies ondoyantes qui reliaient les communes : de Basse-Pointe à Ste Luce, de Saint Joseph à Ste Anne, du Robert aux berges de Fort-de-France, des pieds du Mont Pelé à ceux de la Montagne du Vauclin… ?
Qui sait que le mitage du paysage martiniquais, tel qu’on l’observe aujourd’hui, c’est-à-dire l’éparpillement sans plan d’urbanisme cohérent, d’infrastructures, de zones d’habitat, de zones d’activité, dans des espaces initialement ruraux, est l’une des conséquences, non désirées, de cette réforme ?
Qui sait que les parcelles de deux-trois hectares issues de la réforme ont été vendues aux petits agriculteurs, via le Crédit agricole mutuel, à un prix incitatif fixé par un organisme d’Etat ?
Qui sait que la plupart des petites propriétés dues au démembrement des grandes habitations, en 1960-1970, ont été subdivisées et su-subdivisés par voie de succession ; qu’elles sont, depuis, perdues pour l’agriculture ?
Qui sait ce qu’il serait advenu du territoire martiniquais si la totalité des grandes propriétés agricoles avait été transférée dans le cadre de la réforme foncière de 1960-1970 ? Aurait-il été possible d’envisager demain une politique agricole sur des parcelles, toutes possiblement occupées par des constructions sauvages ?
La réforme foncière et ses suites, totalement ignorées des Martiniquais de moins de 60 ans, ne sont pas les seules conséquences des incidents des 20, 21 et 22 décembre 1959, qui virent la mort de 3 jeunes gens.
Fort-de-France, le 15 novembre 2023
Yves-Léopold MONTHIEUX (Décembre 1959 à Fort-de-France – Témoignage d’un Lycéen)