— Par Yves-Léopold Monthieux —
Faisant écho à un article paru dans la presse où l’échec d’Alfred MARIE-JEANNE, ce dimanche soir, est plus que suggéré, la vraie question peut se poser de savoir quel aura été son bilan politique. On peut s’y coller même si, nouveau miracle, la liste conduite par AMJ sortait en tête ce soir. L’issue de l’élection n’y changera pas grand-chose. Pour la commodité de l’exercice on pourrait comparer ce bilan à celui d’Aimé CESAIRE, les 2 hommes étant les acteurs les plus emblématiques de la politique martiniquaise depuis 1946. CESAIRE est quasiment entré dans l’histoire tandis que le second, qui lui avait prédit d’être jeté aux poubelles de l’Histoire, a toujours souhaité y entrer. C’est cela la rivalité entre les deux hommes et l’intérêt qu’il y a à les comparer.
On retiendra sans doute que CESAIRE sera resté pendant 55 ans maire de Fort-de-France (record de France) et AMJ, un peu moins longtemps, à Rivière-Pilote. Les deux auront connu une fortune électorale durable s’appuyant sur le populisme. Lorsqu’on voit dans quel état s’est trouvé (et se trouve encore !) la ville de Fort-de-France au départ de CESAIRE et celle de Rivière-Pilote lorsque AMJ a été obligé de la quitter, il est difficile de les départager. Serge LETCHIMY aura protégé son prédécesseur en refusant de formaliser sous forme d’audit un bilan catastrophique. La situation financière de la ville incombe bien moins aux actuels gestionnaires qu’à une pratique tolérée du déficit qui remonte à plus d’un demi-siècle. On a toujours connu Fort-de-France au bord de la faillite financière et des affaires étouffées dans l’oeuf. Bref, Serge LETCHIMY a essayé de ressusciter Foyal, notamment lorsqu’il était président de la Région, mais aussi comme maire et non sans quelque mérite. Peut-être, s’il devient président de la CTM, espère-t-il continuer de profiter de l’aubaine. Il faut bien aider la « ville capitale ». De même, à un échelon moindre, AMJ n’a pas su mettre La Riviè Pilot hors d’eau ni régler le problème des eaux grises. En revanche on ne retient pas qu’il se soit servi de ses 3 présidences à des collectivités majeures pour tenter d’y pourvoir. Qui le lui aurait reproché ?
En bref, ce n’est donc pas sur leurs résultats en tant que maires que l’histoire jugera les 2 hommes politiques, sauf peut-être pour admettre qu’ils n’auront pas été brillants dans ce registre. En revanche, ils seront jugés sur leur succès à faire avancer ou non leurs idéologies, l’un l’autonomie, l’autre l’indépendance de la Martinique. Celui qui a théorisé l’idée d’émancipation n’a pas transformé ses idées en actes. Au contraire, ses actes ont contribué à conforter l’assimilation. Notons que les 2 actes politiques significatifs de CESAIRE furent le vote de la « départementalisation » et le « moratoire ». En revanche, si aucun ouvrage ou autre écrit n’aura précisé la pensée d’AMJ et ne pourra pas servir de support à ceux qui voudraient lui succéder, ce qui le défavorise par rapport à CESAIRE, le patron du MIM aura fait preuve d’un empirisme et d’un pragmatisme qui auront plus fait (tant soit peu !) ou tenté de faire pour l’évolution du statut.
Concrètement, il aura obtenu en 2003 une modification de la constitution excluant (en principe) un vote national pour toute évolution statutaire des DOM, au profit d’une consultation locale en mode d’autodétermination en quelque sorte. Il l’aura fait contre le Parti progressiste martiniquais (Darsières et le chatt’en sac !). Dans la foulée, il aura obtenu de Jacques CHIRAC, en décembre de la même année, l’organisation d’une consultation populaire sur l’évolution statutaire dans le cadre de l’article 73 de la constitution. Ce fut un échec qui ne le dissuada pas, avec l’aide de Nicolas SARKOZY, de revenir à la charge en s’imposant un objectif quasiment impossible à atteindre. En élevant la barre du chalenge au niveau de l’article 74 de la constitution, le nouvel échec était inévitable. Il en perdit dans la foulée la présidence de la Région qui revînt à Serge LETCHIMY, le successeur de celui dont il voudrait être le concurrent devant l’histoire.
Reste que la consultation électorale supposée être « d’autodétermination » a été pour peu de chose dans la création et le contenu de la collectivité territoriale de Martinique (CTM). Celle-ci a été décidée par la loi (vote national), loin de l’électeur martiniquais et quasiment à l’encontre de ses vœux (maintien du département), elle n’est finalement qu’une nouvelle écriture du système départemental. Aussi, les « moratoires » des uns et des autres n’ont pas fait que suspendre les objectifs idéologiques. Ils y ont mis fin. En définitive, les deux hommes politiques ont échoué en ce qui était leur caractéristique idéologique respective. Outre la parenthèse de 2004 où AMJ a pu se passer d’alliés, ils n’ont pu diriger la région ou la collectivité territoriale de Martinique que grâce au concours de la Droite qui, se faisant, a exigé d’eux, non sans succès, l’abandon de leurs objectifs idéologiques et imposé de fait une gestion gourmande l’assimilation. De sorte que la Martinique n’est plus en position de moratoire, mais en situation de renoncement.
Fort-de-France, le 27 juin 2021
Yves-Léopold MONTHIEUX