De l’urgence de concevoir , aujourd’hui, une nouvelle ère de déconstruction de la culture créole ? 

 
— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Refonder la culture créole , c’est aujourd’hui adhérer à une nouvelle vision du social et de l’économie , mais c’est là un exercice certes abscons mais néanmoins indispensable à mener pour les jeunes générations de guadeloupéens et martiniquais. 
 

L’orientation dans la vie d’une identité culturelle n’est pas un chemin linéaire ; sans retour ni détour. Mais une identité ne serait pas une chose anodine, peut-on entendre dans la bouche de certains penseurs Antillais comme Édouard Glissant. «En Thérapie», elle charrierait avec elle une certaine vision du monde.

La crise morale que vit la Guadeloupe et la Martinique aujourd’hui est d’abord une crise de la culture créole avant que d’être une crise d’adaptation au monde technologique. La primauté des politiques sociales  menées depuis plus de cinquante ans de départementalisation , mettant à l’écart la dimension culturelle propice au développement économique  , doit conduire à une réflexion en profondeur tendant à donner une nouvelle impulsion au patrimoine culturel local dans la vie publique, privée et professionnelle. Il s’agit de se penser en guadeloupéen ou en martiniquais , mais  en identifiant l’intérêt de son pays à celui de la France hexagonale. Il s’agit, en même temps, de se penser en citoyen du monde, un monde où le localisme ne va pas sans l’interdépendance planétaire.

Il faut décoloniser les mentalités en Martinique et Guadeloupe c’est-à-dire rendre les esprits à la fois soucieux de sauvegarder les valeurs culturelles créoles et ouverts à l’intégration des apports en provenance de l’extérieur. Il faut changer les attitudes et les comportements de la majorité des martiniquais et guadeloupéens qui ont tendance à penser que tout ce qui provient d’Europe est nécessairement supérieur à ce qui vient de leur propre terroir, qu’il s’agisse des ressources tirées de la nature ou des produits issus de la culture. Dans un monde globalisé caractérisé par l’interdépendance généralisée il appartient aux guadeloupéens et surtout martiniquais de nourrir des relations décomplexées, mais apaisées avec la France hexagonale et de renouveler les formes et le fond de notre mentalité par trop polluée  par des réactions souvent émotionnelles. Les martiniquais et guadeloupéens doivent cesser de faire de la France le bouc émissaire de tous leurs maux. Ils doivent sortir de la culture de dépendance vis-à-vis de la France , en termes d’aides sociales et d’assistanat , qui bloquent leur imagination, les infantilisent et les condamnent à la passivité. Ils doivent impérativement promouvoir la culture de l’ouverture à l’autre , du travail et de l’effort. C’est ainsi, et seulement ainsi, qu’ils pourront conquérir la vraie émancipation et la respectabilité sur le plan international.

Il convient maintenant prendre conscience qu’il faut décoloniser l’imaginaire du martiniquais voire du guadeloupéen : il est nécessaire d’imaginer le monde autrement pour que le monde devienne autre. Les hommes politiques martiniquais et  guadeloupéens doivent comprendre que le modèle social français a atteint ses limites. Il leur appartient de trouver les voies médianes qui correspondent le mieux à la résolution de leurs propres problèmes ici et maintenant. Il s’agit d’imaginer la vie, la croissance et le développement autrement qu’en termes d’accumulation des biens matériels et d’exploitation cynique de son prochain et de la nature environnante.

Le débat sur la question de l’adéquation de la culture créole au monde moderne donc des enjeux technologiques  de demain est nécessaire aujourd’hui. Il est, plus que jamais, d’actualité.

Bref nous assistons bien à un continuum de contenu technologique dans les sociétés.

Certaines identités culturelles en sortiront bien plus fortes, d’autres seront distancées voire disparaîtront dans le néant de la quatrième révolution industrielle. 

Parmi les notions phares de l’écrivain Antillais Édouard Glissant, sa redéfinition de la créolisation désigne chez lui « l’imprévisible » du monde, les identités culturelles inédites résultant de la confluence des différences. « J’appelle créolisation la rencontre, l’interférence, le choc, les harmonies et les disharmonies entre les cultures, dans la totalité réalisée du monde-terre. (…) Ma proposition est qu’aujourd’hui le monde entier s’archipélise et se créolise ». 

Pour la Martinique et la Guadeloupe l’enjeu de la définition d’une nouvelle identité culturelle est de taille :  Si l’on veut éviter à l’avenir une grande déconvenue, il faut que certains pans de la culture créole actuelle changent radicalement et notamment la mentalité passéiste. Dans beaucoup de pays sous -développés, certaines cultures locales et autochtones , peuvent être considérées comme un frein au progrès et ce, en autant qu’elles s’écartent de la culture d’entreprise et du dialogue social entre partenaires sociaux. Il est acquis que l’entrepreneur joue un rôle primordial dans les dynamiques de développement économique. L’activité productive des entrepreneurs est d’autant plus importante que les institutions ainsi que le contexte local lui sont favorables. L’existence de préalables culturels à la croissance économique et à l’activité productive des entrepreneurs reste, cependant, une idée incontournable. Cela vaut bien évidemment pour la Martinique, mais également et surtout pour la Guadeloupe. Ainsi en Guadeloupe ou l’écrasante majorité des entrepreneurs qui réussissent à mener à bien la réussite économique et financière de leurs entreprises ne sont pas guadeloupéens, mais français de l’Hexagone, ou encore békés Martiniquais… Problème de culture et atavisme. Posons nous la question de savoir pourquoi ?…. Le principal écueil du modèle culturel actuel des martiniquais et guadeloupéens , peut se résumer en une seule formule, volontairement schématique : l’inadéquation à la mutation sociologique et technologique du monde moderne. Il suffit d’évoquer quelques faits d’évidence. Il y a d’abord l’ignorance, par certaines familles en Martinique et Guadeloupe de l’importance de transmettre des valeurs positives comme le travail et la réussite. Il y a ensuite, au niveau même des politiques éducatives, l’absence d’une définition claire du type d’homme et de citoyen que l’on veut former pour la Martinique et la Guadeloupe de demain. Il y a enfin, de la part des responsables politiques et économiques , l’inexistence d’un projet de société clair qui mobilise toutes les énergies disponibles et soit à la hauteur des énormes transferts budgétaires consentis par la France. Cette inadéquation de la culture créole persiste malgré les proclamations discursives des hommes politiques qui affichent, depuis la départementalisation , une conscience claire des problèmes à résoudre sans toutefois parvenir à renverser la vapeur de l’assistanat en raison du clientélisme ambiant en Martinique et en Guadeloupe. Ceci s’explique par le fait que les réformes proposées, à cadence accélérée et au gré des bâilleurs de fonds, ne touchent pas aux vrais problèmes de société et ne se donnent pas les moyens adéquats pour les résoudre.Il y a, bien sûr, des causes qui tiennent à la politique : selon le point de vue adopté, la Martinique, surtout,  serait victime, tout ensemble ou non, de la malveillance de l’ancienne puissance coloniale qu’est la France et de la mal-gouvernance de ses propres élus locaux. Quand on parle de la dépendance politique et économique voire financière de la Martinique et de la Guadeloupe vis-à-vis de la France et de l’Europe, on pense généralement aux domaines politique et économique. On pourrait ajouter la dépendance alimentaire et sanitaire.

Or la plus profonde des dépendances de la Martinique et de la Guadeloupe vis-à-vis de la France et de l’Europe est, selon moi, d’ordre culturel : elle concerne les domaines vitaux de l’école, de la langue, de la production du livre (scolaire et littéraire), des arts, de la culture générale , des médias (écrits et audio-visuels), de la recherche universitaire et scientifique. La vraie émancipation de la Martinique et de la Guadeloupe , donc la possibilité de leur développement réel dans tous les domaines, est impensable sans une  émancipation culturelle. Là se trouve probablement la vraie origine du mal Antillais  : le mimétisme aveugle. 

L’enfant guadeloupéen et martiniquais d’aujourd’hui, comme l’adulte qu’il sera demain, est un produit de mélange, assez bien réussi, de la culture traditionnelle créole prodiguée par la famille et de la culture occidentale dite moderne assurée par l’école et les médias. En fait, s’agissant du retard économique et technologique pris par les  pays Guadeloupe et Martinique, des difficultés à décoller malgré l’aide considérable apportée de l’extérieur , on a évoqué, surtout ces dernières années, les blocages d’ordre culturel : le poids négatif de certaines traditions désuètes, l’archaïsme des mentalités, l’incapacité (congénitale ?) des martiniquais et guadeloupéens à se gérer eux-mêmes et à rentrer dans le mouvement général des peuples vers le mieux-être, le refus même de l’autorité  , voire l’inutilité de l’économie de production.

Pour ma part, j’ai la conviction que la culture voire l’atavisme d’une communauté peut être un obstacle à son développement économique ; qu’elle conditionne la politique et l’économie à tel point qu’il n’y a pas de conscience politique ou de développement économique véritable sans véritable émancipation culturelle. Or, Il me semble que l’une des causes majeures de nos problèmes aujourd’hui et du bilan notoirement insuffisant de nos élus réside dans la trop grande dépendance vis-à-vis des modèles culturels hérités de la mondialisation.  C’est là le vrai point faible d’un pays par ailleurs trop assisté et trop endetté au niveau de ses collectivités, qui est considéré aujourd’hui, par beaucoup , comme un grand corps malade. Il ne s’agit pas, dans cette démarche, d’effacer la mémoire ni même le fait esclavagiste et colonial mais de le dépasser, en assumant, et de le rentabiliser, en l’adaptant à son propre environnement. L’expérience montre que les pays qui ont le mieux réussi, y compris les puissances dites « émergentes » en passe de dominer  l’économie mondiale sur le plan technologique (Chine, Inde, Corée du Sud, etc.), sont ceux qui ont su assimiler les emprunts indispensables aux autres cultures sans renoncer aux valeurs positives essentielles de leur propre héritage culturel.

Education, ambition, travail, patience et détermination sont tenues dans le plus grand respect.
C’est de cette symbiose harmonieuse que la Guadeloupe et la Martinique ont  besoin, au XXIe siècle, pour enfin pouvoir décoller technologiquement, économiquement, moralement. Il faut réinventer au XXIe siècle notre culture créole  , la refonder sur des bases saines, en adéquation avec les besoins du nouvel environnement économique mondial  : notre mentalité doit s’affranchir des carcans dans lesquels l’enferment des conceptions passéistes qui interdisent toute évolution vers un avenir serein. L’espoir à notre sens ne peut provenir que des jeunes guadeloupéens et martiniquais de la diaspora actuellement en France hexagonale et à l’étranger. 

Un rêve à portée de main à mon avis uniquement pour les jeunes s’étant confronté à un autre environnement culturel que celui de la Martinique et de Guadeloupe. Je crois pourtant que tout un chacun devrait se saisir des opportunités de refonder l’identité créole, voire envisager la déconstruction de la culture Antillaise   , particulièrement à l’heure où le commerce traditionnel et le salariat seraient menacés  de disparaitre sous les coups de boutoir de l’internet, de la révolution numérique et l’intelligence artificielle. Disrupter » avant d’être « disrupté », tel doit être le nouvel enjeu de la culture traditionnelle créole. …  

 

Jean-Marie Nol. -économiste-