— Par Victor Lina–
« Quelques mots écrits pour dire psy »
L’hommage à l’homme Aimé CESAIRE, le plus émouvant qu’il nous est arrivé d’entendre est venu d’une patiente qui apprenant, incidemment, le décès du poète, s’est mise à évoquer une tranche de son histoire. Elle est d’origine d’une île anglophone voisine et cela se passe il y a quelques dizaines d’année. Cette dame qui vivait chez son compagnon en Martinique venait de rompre avec ce dernier et se retrouvait à la rue enceinte et sans ressource. Dans son désarroi, elle errait aux environs du canal Trénelle et empruntant le passage des « quarante-quatre marches » finit par chuter. Auprès de qui ? Aux pieds de qui ?
Comme dans un roman, ou comme dans un film, elle raconte que le maire qui se trouvait aux Terres-Sainville, la vit tentant péniblement de se relever et inquiet de son état se rapprocha d’elle pour lui porter secours. Un échange de parole s’engagea et elle lui fit part de son désespoir. Le maire l’invita dit-elle, à se présenter à son bureau et elle fut reçue sans protocole. Dans l’expression de sa reconnaissance cette personne souligne la coïncidence magique entre sa détresse et la rencontre avec cet homme d’exception qui vient occuper le rôle de sauveur. Elle aime cet homme d’un amour religieux. Dans son parcours de la reconnaissance, il faut noter qu’en premier lieu, c’est en tant que personne qu’elle fut identifiée et humanisée par l’échange de parole, en cela elle fut reconnue, réinstallée dans le monde des humains. Cette femme délaissée ou peut-être n’ayant eu d’autre choix que de partir du lieu où elle habitait, « tombe » littéralement sur cet homme qui lui offre sa bienveillance, cette forme d’amour qu’elle n’avait vraisemblablement pas trouvé chez le père de l’enfant qu’elle allait mettre au monde. Aussi l’aima-t-elle depuis ce jour.
Elle n’a eu qu’un enfant. Est-ce en mémoire de cette rencontre ?
L’idée, la pensée favorable en direction d’une personne étrangère, peut être renforcée à l’occasion d’une déception ou d’une désillusion ressentie à l’égard de son précédant objet d’amour. La personne déçue ou blessée qui n’a pas cessé pour autant de croire au bonheur, cherche ou espère trouver, une figure qui lui remplirait à nouveau d’espoir. Cela peut être en l’occurrence, celle d’une personne bienveillante qui lui offrirait comme objet sa compassion, tel Saint-Martin.
Mais cela peut être aussi, celle d’une personnalité fort opportuniste qui aura su lire l’appel de détresse d’amour d’une personne aux abois. La forte vulnérabilité d’une personne dans cet état n’a pas besoin de grandes démonstrations.
Mais qui n’est pas en manque d’amour ? Qui ne cherche pas, une figure offrant une sécurité contre la déception, une attention, même rustre, peut faire l’affaire. Face à l’expérience de la perte qui se vit dans la douleur, dans la déception et dans l’offense, le mouvement qui anime l’homme ou la femme est celui de la quête voire de « l’en-quête » en vue de la retrouvaille. Partir à la recherche ou attendre rêveusement la venue de celui ou de celle qui viendra en place de. Celui ou celle qui viendra en place de disons que c’est un …objet. Parce c’est lui ou elle au lieu de. Parce qu’il faut absolument que quelqu’un occupe cette place. Le soi-disant bonheur c’est de trouver chaussure à son pied.
Cette emphase dans la relation à l’objet se retrouve dans le rapport avec des personnes qui se distinguent du lot à travers des circonstances diverses et parfois paradoxales.
Connues et surtout reconnues pour leur don, leur capacité à donner ou à prendre, leur qualité, leur excès, leur potentialité, leur génie, supposés ou réel, des artistes, des prédicateurs, des enseignants, des sportifs, des hommes politiques, des chefs d’entreprise, des personnes fortunées, certains criminels et certaines victimes suscitent une telle surestimation qu’ils sont transformés en objet d’amour.
Cette année, la mémoire d’un homme illustre est honorée. Cependant aujourd’hui, devrait-on dire, encore aujourd’hui, la relation de la population martiniquaise avec cet homme d’exception demeure ambivalente. D’un certain point de vue, elle l’a toujours été. Certains s’en offusquent, d’autres s’en réjouissent, mais comment ne le serait-elle pas ? Face à l’objet d’amour, l’ambivalence est la règle. Notons que pour FREUD, notamment la tendance à la cruauté est, sous certains rapports, liée à la libido, un double enjeu donc libido et cruauté est en cause dans la transformation de l’amour en haine et inversement, d’émotions tendres en sentiments hostiles. Bref, FREUD met en évidence l’existence d’un fonctionnement du psychisme par l’intermédiaire de « couples antagonistes » qui identifient la pulsion.
Aimé CESAIRE est connu pour certains pour leur avoir rendu service, (l’obtention d’un emploi, une intervention des services municipaux, quelques feuilles de tôle)…Pour d’autres pour ne leur avoir pas rendu service : CEZÈ pafè ayen ba mwen. Ainsi il y aurait ceux qui adulent CESAIRE en souvenir de bénéfices matériels et d’autres qui seraient restés envieux de ne pas avoir eu leur part. Il reste ceux qui mesurent la chance d’avoir un homme de génie natif de la même terre que la leur. Il y a aussi et encore d’autres cas de figure qu’il serait fastidieux de décrire.
L’amour que l’on porte à un objet prend sans doute appui sur l’image spéculaire comme pôle d’identification: l’autre est perçu comme formant une totalité de l’image du corps, une totalité modèle d’accomplissement qui induit la possibilité d’un manque de quelque chose où c’est en tant que totalité que l’autre se présente virtuellement démuni.
Victor LINA
Le titre est de Madinin’Art