En reprenant les clichés racistes, la chanteuse s’est rapidement imposée sur la scène parisienne et a «transcendé» les imaginaires xénophobes.
Dans un décor de jungle, elle se déhanche presque nue avec sa fameuse ceinture de bananes : en reprenant les clichés racistes visant les Noirs, Joséphine Baker a imposé sa couleur de peau sur les scènes parisiennes mais surtout «transcendé» ces imaginaires xénophobes. «Si on la regardait aujourd’hui, nous serions tous probablement choqués», prévient l’historien Pascal Blanchard, co-auteur du livre Le Racisme en images: déconstruire ensemble, publié aux éditions de La Martinière.
L’artiste, qui entrera au Panthéon le 30 novembre, est née dans le Midwest américain en 1906. Elle est repérée par un membre de la Revue nègre, un spectacle de music-hall, alors qu’elle se produit à Broadway. Son visage, ses mimiques, son corps… Séduis immédiatement, l’imprésario la persuade de venir à Paris.
Sa première apparition au théâtre des Champs-Élysées en 1925 va lancer sa légende. Elle y danse seins nus et ceinture de plume à la taille. C’est un triomphe pour la danseuse discriminée dans son pays, qui vit alors sous le régime de la ségrégation raciale.
«Bakermania»
Très vite, Joséphine Baker capitalise sur ce succès. Elle déplace le spectacle aux Folies Bergère et troque les plumes pour… une ceinture de bananes, symbole érotique et raciste. Mais la jeune femme, incarnation de la modernité, l’arbore avec hardiesse. Si la Banana dance fait d’elle une célébrité, phénomène exceptionnel pour un artiste noir à l’époque, et marque le début de la «Bakermania», il est aussi le reflet d’un contexte historique propre aux années 1920.
À cette période, «la France est à la fois un pays colonial mais aussi un pays d’ouverture aux autres. C’est à Paris qu’a lieu le premier congrès panafricain sur la “race noire” en 1919. C’est aussi là que vivent la plupart des artistes et des intellectuels noirs américains», décrypte auprès de l’AFP Pascal Blanchard. L’Hexagone est traversé par une «négrophilie», complète le chercheur Jean-François Staszak, de l’Université de Genève : «C’est une période marquée par l’exotisme, le goût pour les masques noirs et surtout l’esthétisation du corps noir».
C’est précisément dans cette relation «attraction-dégoût» envers les corps noirs que va se glisser Joséphine Baker. «En reprenant l’imaginaire du “sauvage africain”, elle satisfait la demande d’exotisme du public mais elle prend aussi le pouvoir en se moquant de stéréotypes raciaux qu’elle finit par transcender», souligne auprès de l’AFP Michell Chresfield, chercheuse en histoire à l’Université de Birmingham. En fabriquant «son propre imaginaire au-dessus du colonial, elle prend le pouvoir sur le regard du Blanc», complète Pascal Blanchard.
«Incomprise»
Preuve qu’elle parvient à s’affranchir de sa couleur de peau, elle est à l’affiche dès la fin des années 1920 de quatre films, Princesse Tam Tam, aux côtés d’acteurs blancs, ce que Hollywood lui a toujours refusé…
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