De la race en Amérique : Barack Obama à Paris

 

— Par Alvina Ruprecht —

 

Mise en scène : José Pliya

 

D’apres les traductions de François Clemençeau, Gilles Berton et Vincent Byrd le Sage

 

Interprète : Vincent Byrd le Sage

 

 

Un défi de taille : mettre en scène un discours politique de Barak Obama, qui aborde une question aussi délicate, aussi complexe et surtout aussi tabou en France que celui de la question « raciale ».

 

 

D’ailleurs le moment était bien choisi, il faut le reconnaître. L’auteur et metteur en scène José Pliya en tandem avec l’acteur Vincent Byrd le Sage ont réalisé ce projet par suite d’un désir de faire connaître à ceux qui ne connaissent pas l’anglais, ce grand texte, au moment où son auteur s’apprête à devenir le premier président noir des États-unis .

 

 

La réflexion d’Obama sur La Race , prononcée le 18 mars à Philadelphie, fait suite aux critiques proférées contre lui lorsque le révérend Wright de l’Église de la Trinité, une force importante dans la formation spirituelle du jeune Obama, semblait exprimer une haine non mitigée contre les Blancs, en déclarant « que Dieu maudisse l’Amérique ».

 

Les critiques fusaient contre Obama et « son » père spirituel. Il fallait donc mettre les choses au point.

 

 

Sans renier rien ni personne, Obama produit un document qui fera date dans les annales de la politique américaine. Toujours soucieux du symbolique de ses gestes, de la nécessité d’une expression transparente, et du besoin de préciser la nature des « différences » qui divisent cette population, Obama livre une analyse historique du vécu des Noirs aux États. Il explique les origines de leur colère, tout en réfléchissant sur la nécessité d’améliorer les rapports entre les races. Ses conclusions qui préconisent la paix et le bien-être pour tous les Américains sont les paroles d’un réaliste et d’un visionnaire, mû autant pas l’amour de son pays que par les horreurs qui déchirent la planète actuellement.

 

 

Un texte splendide donc, qui garde toute sa force en français grâce à une adaptation musclée très près de l’original par Vincent Byrd le Sage et Gilles Berton, à partir de la traduction «  un peu trop littéraire » selon Pliya, de François Clémençeau, publié chez Grasset.

 

 

Pourtant, le parti pris de mise en scène par José Pliya et son acteur Vincent Byrd le Sage m’a laissé perplexe. Il y a eu d’abord le choix d’un excellent acteur qui, par hasard, est un métis comme Obama, de mère blanche française, de père africain. Il a le même âge qu’Obama et il lui ressemble même dans son costume sombre et ses cheveux très courts. Son sosie diraient les uns. Sans vouloir imiter Obama, ce qui aurait été une erreur très grave, cette conception scénique évoque une « présence » Obama par le retenu, la sobriété, et la gestuelle du personnage, debout, presque immobile derrière le podium en train de prononcer son discours. Et pourtant là s’arrête le dialogue entre l’acteur et l’auteur de ce texte.

 

 

On est envahi par une intution que quelque chose ne va pas. Malgré les similarités voulues entre les deux, le metteur en scène a décidé d’évincer l’acteur pour mieux mettre en valeur le texte, pour ne pas distraire le public de la beauté de cette parole, pour rehausser cette réflexion sur la « différence », qui a attiré l’attention de Pliya au départ. La lecture est neutre, voire froide. L’acteur paraît figé. On dirait qu’il ne croit pas du tout à ce qu’il raconte. Ils ont évacué toue variété rythmique, toute chaleur vocale, toute trace d’émotion . Ce parti pris de théâtralité est d’autant plus malheureux qu’ en évacuant toute trace d’humanité de la part d’un personnage/acteur qui ressemble a Obama, ils ont produit un contre sens profond. La représentation déshumanise un texte profondément humain tout en diminuant la portée de ce message sur la différence. Comment représenter « la différence » au théâtre autrement que par le choix d’un acteur carrément différent d’Obama . Le choix d’une femme ou d’un homme d’une autre origine, aurait été plus intéressant sur le plan théâtral et plus apte à donner au texte une portée universelle qui aurait transcendé l’original et accordé à la scène tout son pouvoir de transformation. Ce que nous voyons est très décevant..

 

À la longue néanmoins, la parole émerge gagnante mais si nous sommes conquis par la beauté d’une réflexion où les techniques de la rhétorique classique s’allient aux nuances d’un magnifique humanisme tempéré d’ une pensée de la modernité, ces qualités ne sont pas du tout rehaussées par cette lecture scénique monotone.

 

 

Il est évident que cette mise en scène est à ses débuts et qu’au fur et à mesure que  l’acteur intègre son texte, il va se libérer de son retenu malaisé et laisser davantage parler son corps. En attendant, pour ceux qui comprennent l’anglais, je vous conseille de regarder la lecture de A More Perfect Union de Barak Obama (1) sur Youtube. Elle nous inspire d’une admiration profonde et d’un sentiment que quelque chose d’important est en train de se passer à l’échelle mondiale car la passion et la grandeur d’âme de son auteur couvent sous un extérieur relaxe et calme.

 

Pour ceux qui ne connaissent pas l’anglais, il faut avouer que le spectacle est malgré tout important car il fait entendre un texte dont le fond rejoint la situation actuelle en France Et puis, si José Pliya en tant que metteur en scène ose malgré tout, aborder la question de la « race » et de l’histoire des peuples d’origines africaines par un discours politique américain interposé, quand verra-t-on les auteurs canoniques de l’institution théâtrale française faire de même? Ces sujets sont souvent abordés par les dramaturges originaires d’ Outre-mer mais la question n’appartient plus à un seul groupe, elle concerne toute la société française. Et voilà, c’est Obama qui nous a bien obligé à le reconnaître.

 

Alvina Ruprecht

 

Paris, janvier 2009