De la question d’un supposé dépistage massif aux Antilles

«Il faudra attendre les tests sérologiques pour un dépistage généralisé »

Des articles sont récemment parus, qui évoquaient cette possibilité. Dans l’interview qu’il donne au journal France-Antilles, Le docteur Jérôme Viguier, directeur général de l’ARS Martinique, fait le point sur cette question (et d’autres, comme l’épidémie sur l’île, le problème du port de masques…).

Dans quels cas se fait-on tester pour le Covid-19 ?

Depuis le début de l’épidémie, il y a toute une doctrine test appliquée sur l’ensemble du territoire, dans l’hexagone et en Outre-mer, et qui s’est progressivement élargie. Nous sommes en stade 3, phase épidémique de la maladie, et les autorités de santé définissent des cibles prioritaires avec le test actuellement disponible: les malades présentant d’emblée des formes sévères, les personnes fragiles qui présentent les symptômes évocateurs de Covid 19 et qui sont les plus à risque de développer les formes graves comme les drépanocytaires qui sont nombreux en Martinique, les résidents (et le personnel) des EHPADs en cas de suspicion, parce que l’on sait que la transmission se fait extrêmement vite et que ce sont des personnes particulièrement fragiles qui sont susceptibles de payer un lourd tribut à cette maladie. Dans ces établissements, il faut tout de suite savoir que l’on est face à une transmission de Covid 19 pour mettre en place les mesures d’isolement de ces personnes et prendre des mesures très spécifiques. On teste les personnes hospitalisées qui présentent des symptômes évocateurs. Là aussi, il faut pouvoir comprendre rapidement l’état du patient et éviter les transmissions par des filières spécifiques. Il y a aussi les femmes enceintes qui sont des personnes fragiles, car pendant la grossesse toute pathologie respiratoire grave est compliquée. Les donneurs d’organe, de tissu, de cellules souches…. peuvent aussi être testés. Et puis, les professionnels de santé dès l’apparition de symptômes évocateurs.

Quelles sont les méthodes de dépistage utilisées ?

Actuellement, le test utilisé est la PCR (polymerase chain reaction) pour rechercher le virus lui-même sur les personnes qui ont des signes compatibles avec le Covid-19. Il se fait à l’aide d’un écouvillon que l’on met dans le nez. L’échantillon est ensuite analysé par un laboratoire. C’est une technique assez lourde, longue et complexe. Le scanner thoracique peut aussi être utile dans le diagnostic, mais pas en dépistage.

À quand un dépistage massif de la population ?

Nous travaillons actuellement à augmenter très significativement la capacité de test PCR de recherche de virus en Martinique. Les médecins généralistes vont avoir un accès facilité à la prescription qui était initialement hospitalière. Le conseil scientifique local est mobilisé pour faire des propositions au fur et à mesure que le potentiel de tests des laboratoires augmentera pour pouvoir tester encore plus de personnes et identifier les nouvelles indications. Initialement réalisée uniquement au CHUM, cette technique sera bientôt disponible dans les deux groupes de laboratoire de biologie médicale privés et une réflexion est en cours pour le laboratoire territorial d’analyse. De son côté, le CHUM va voir son potentiel augmenter significativement avec un second automate. Un troisième est annoncé par le Ministère de la santé. Ce seront alors plusieurs centaines de tests quotidiens qui pourront être réalisés.

Mais les experts s’entendent pour dire que le test PCR qui est d’une technicité assez complexe et relativement longue en termes de résultats ne correspond pas à un test de dépistage massif de l’ensemble de la population. De plus, le test est peu performant chez les personnes qui n’ont pas de symptôme. Mais les nouveaux tests qui vont être mis à disposition permettront de pallier à cette situation.

Pas de dépistage massif alors ?

Il y a plusieurs autres types de tests qui sont actuellement en évaluation, et qui devraient être assez rapidement disponibles. Les tests sérologiques seront les plus adaptés pour un dépistage généralisé, ceux-ci étant capables de rechercher des anticorps qui permettront de voir le statut de la personne vis à vis de l’infection par Covid 19. Certains de ces tests existent en format de tests rapides permettant un résultat en quelques minutes avec une goutte de sang. Mais les tests disponibles sont de qualité très inégale et ils nécessitent une évaluation rigoureuse avant leur utilisation, évaluation qui est en cours…

Il y a beaucoup de réflexions en cours et de gens mobilisés sur les différentes stratégies de test, de circuit de prise en charge, de gestion des cas de Covid 19. On ne peut que saluer cet engagement pour le territoire. Le Comité scientifique national a été lui aussi mobilisé pour réfléchir à la spécificité de l’épidémie dans les Outre-mer et nous avons mis en place un Comité scientifique local (de médecins et chercheurs) pour réfléchir et faire des propositions spécifiques à la Martinique… Avec l’augmentation de réalisation de tests par les laboratoires d’analyse médicale, nous nous inscrivons dans cette dynamique et sommes à l’écoute des propositions et des stratégies qui vont venir compléter les réflexions du conseil scientifique que nous avons mis en place, de manière à affiner les modalités de tests sur la Martinique.

La Martinique pourrait-elle être un territoire pilote pour les tests généralisés et dans la mise en place du déconfinement ?

Il est actuellement trop tôt pour parler de déconfinement. La situation des différents territoires en regard de l’épidémie est assez différente et cette composante devra bien entendu être prise en compte. Le déconfinement répondra à plusieurs contingences dont l’existence d’un traitement reconnu comme efficace et d’une stratégie de test adaptée. Il y a encore un certain nombre de questions scientifiques sur lesquelles il faut avancer. Actuellement, même si les réflexions sont en cours, le déconfinement n’est pas à l’ordre du jour de façon très proche.

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Fort-de-France, le 13 avril 2020