— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Depuis plusieurs décennies, nos élites politiques véhiculent des schémas de développement à connotation idéologique identitaire qui s’avèrent aujourd’hui être des leurres nuisibles à la compréhension de la mutation géopolitique, économique, technologique et géostratégique du monde moderne. Les Antilles françaises, représentées par la Guadeloupe et la Martinique, nourrissent l’espoir de renforcer les relations commerciales avec les autres îles de la Caraïbe. L’idée semble, à première vue, séduisante : bâtir une coopération économique régionale basée sur des proximités géographiques, historiques et culturelles. Toutefois, cet objectif, promu par nombre de personnalités politiques, économistes et juristes antillais, semble aujourd’hui de plus en plus éloigné des réalités économiques et des défis structurels auxquels ces territoires sont confrontés. En effet, nous sommes bien conscients que le contexte économique est difficile et particulièrement défavorable à la coopération régionale avec les pays de la caraïbe.
Les Antilles françaises sont des territoires particuliers au sein de la Caraïbe, car bien qu’elles partagent une localisation géographique avec les autres îles de la région, elles sont intégrées économiquement à la France et à l’Union européenne. Cela leur donne accès à des transferts publics et à des fonds européens qui leur permet de bénéficier des réglementations nationales et communautaires, des subventions agricoles et des normes commerciales de l’UE. Cependant, cette appartenance les éloigne aussi des dynamiques économiques régionales.Le modèle économique actuel des Antilles françaises repose principalement sur l’exclusif colonial c’est à dire des importations de biens manufacturés en provenance quasi exclusive de la France hexagonale et de secteurs comme le tourisme, l’agriculture (banane, canne à sucre, melons), le commerce et les services, souvent orientés vers la « métropole » et, par extension, l’Union européenne. Les relations avec les autres îles de la Caraïbe restent très embryonnaires, centrées sur l’humanitaire, la culture et le sport et marquées par des barrières douanières et linguistiques, des systèmes légaux et fiscaux différents, et des réseaux commerciaux fragmentés. Ces disparités freinent les ambitions d’une intégration régionale plus poussée, malgré les efforts déployés en vain depuis plusieurs années pour encourager cette coopération. De plus, les économies des autres îles de la Caraïbe sont elles-mêmes fragiles, souvent dépendantes du tourisme et de l’exportation de produits agricoles primaires et qui plus est pour le financement des infrastructures se tournent vers la Chine ( celà a représenté pas moins de 10 milliards de dollars en terme d’investissements chinois en 2023). Les capacités de consommation et d’importation de ces pays restent limitées, réduisant ainsi le potentiel de débouchés pour les produits guadeloupéens et martiniquais.
Ainsi, poursuivre une coopération commerciale avec ces économies insulaires se révèle être, comme le décrivent de façon pragmatique certains experts, une chimère. Mais c’est aussi une perte financière pour la Guadeloupe et la Martinique du fait de contributions à des organismes comme l’OECS et le CARICOM à fonds perdus. Les tentatives d’établissement de relations commerciales soutenues avec les pays voisins ont souvent conduit à des déceptions financières. Et en tant qu’ancien banquier directeur d’un centre d’affaires entreprises ayant œuvré personnellement au financement des investissements de certaines entreprises Antillaise dans la caraïbe, notamment à Saint-Domingue, Dominique et Sainte Lucie, je peux attester de l’échec patent de cette action de coopération régionale. Quasiment toutes ont subi des pertes financières qui se sont traduites à terme par des dépôts de bilans. C’est la raison pour laquelle les Antilles françaises souffrent à ce jour d’un déséquilibre commercial chronique avec les autres îles de la région. La caraïbe ne doit plus être la panacée car l’offre de biens locaux peine à s’aligner avec les attentes et les besoins de ces marchés, tandis que la faible compétitivité des entreprises antillaises, due notamment à des coûts de production élevés, handicape toute tentative d’exportation significative. Le modèle économique interne des Antilles françaises, fortement soutenu par les subventions de la « métropole », n’incite pas les entreprises locales à se diversifier ou à se tourner vers des marchés extérieurs. De surcroît, les barrières tarifaires et les infrastructures logistiques sous-développées compliquent l’établissement de flux commerciaux fluides avec les pays de la Caraïbe. Face à cette réalité, insister sur une coopération régionale apparaît non seulement peu réaliste, mais aussi coûteux pour les finances des collectivités locales et économies locales en raison de la perte sèche dans le passé de subventions et fonds propres. C’est pourquoi nous préférons plutôt envisager et privilégier comme moyen de développement à terme l’exploitation du potentiel inexploité des jeunes diplômés antillais expatriés.
En parallèle, une nouvelle génération de jeunes Antillais formés à l’étranger, notamment aux États-Unis et au Canada, semble offrir des opportunités inédites de coopération et de développement économique. Ces jeunes diplômés, ayant acquis une expertise et une expérience sur des marchés bien plus dynamiques et rentables que ceux de la Caraïbe, pourraient jouer un rôle clé dans le développement de nouvelles relations commerciales et la diversification des partenariats économiques des Antilles françaises. Nombre de ces jeunes professionnels maîtrisent parfaitement les outils de la mondialisation économique, tels que les nouvelles technologies notamment celle du futur comme l’intelligence artificielle, le commerce numérique et les réseaux financiers internationaux. Contrairement à l’idée largement partagée d’un « retour au pays » souvent idéalisé (alé viré est une fumisterie) mais très rarement concret, il semble plus pertinent de capitaliser sur leurs compétences à l’étranger pour renforcer les relations commerciales des Antilles avec des économies plus développées, telles que les États-Unis et le Canada. Et aussi le Brésil par l’intermédiaire de la Guyane. Nous souhaitons un véritable changement de paradigme en matière de développement économique, et se tourner vers l’Amérique du Nord et du Sud.
Il est désormais évident que le paradigme de la coopération régionale avec la Caraïbe a atteint aujourd’hui ses limites faute de résultats avérés. Les Antilles françaises doivent d’abord procéder à une évaluation de l’échec des projets antérieures à l’époque contemporaine et revoir leurs ambitions ainsi que reconnaître que leur avenir commercial ne réside pas dans une intégration régionale qui n’a jamais véritablement pris forme, mais dans un rapprochement avec des économies plus puissantes et diversifiées comme celles de l’Amérique du Nord.Les États-Unis et le Canada représentent des partenaires commerciaux de premier ordre. Ils offrent des formations de qualité pour nos jeunes ( cf :mon ancien article de 2019 publié sur madinin’art et intitulé : « Le Canada, la nouvelle destination de choix pour l’emploi des jeunes Antillais ? »), des marchés vastes et stables, une diversité de secteurs d’activité, et une forte capacité d’absorption des exportations notamment en matière de produits agroalimentaires exotiques.
De plus, la présence de jeunes diplômés antillais dans ces pays peut servir de levier pour faciliter les échanges, créer des passerelles commerciales, et attirer des investissements vers les Antilles françaises.Ces marchés présentent aussi des opportunités pour les produits agricoles antillais, notamment dans le secteur des produits biologiques et exotiques, très prisés en Amérique du Nord. Par ailleurs, l’accent mis sur le développement durable et les énergies renouvelables dans ces pays ouvre des perspectives pour des projets collaboratifs innovants, où les Antilles françaises pourraient jouer un rôle stratégique. Nous nous dirigeons donc dans ce contexte vers une coopération commerciale fondée sur les compétences et l’innovation et non plus seulement sur l’humanitaire, la culture et le sport.
La clé d’un succès commercial renouvelé pour la Guadeloupe et la Martinique repose sur une redéfinition de leurs priorités économiques. Il s’agit d’encourager les entreprises locales à s’ouvrir à de nouveaux marchés, à se diversifier et à miser sur l’innovation. En s’appuyant sur le réseau des jeunes diplômés antillais à l’étranger, ces territoires pourraient accéder à des savoir-faire, des technologies et des idées qui leur font actuellement défaut.De plus, en privilégiant des partenariats avec les États-Unis et le Canada, les Antilles françaises pourraient aussi bénéficier de programmes d’échange universitaire, de formations et de transferts de compétences, favorisant ainsi un retour indirect mais bénéfique de la diaspora antillaise sur l’économie locale. En somme, la persistance à envisager des relations commerciales avec les économies insulaires de la Caraïbe semble aujourd’hui être un vœu pieux. La Guadeloupe et la Martinique doivent désormais repenser leur stratégie de coopération économique en se tournant vers l’Amérique du Nord, où se trouvent des opportunités plus concrètes, des marchés plus dynamiques et des réseaux de jeunes diplômés déjà implantés et prêts à jouer un rôle moteur. Ce changement de paradigme, loin d’être une simple opportunité, est une nécessité pour assurer un développement économique durable et adapté aux défis du XXIe siècle.
En définitive, cette nouvelle approche de la coopération vise à présenter une vision actualisée des relations commerciales des Antilles françaises, en se concentrant sur les opportunités à saisir avec les marchés nord-américains, tout en mettant en lumière les très étroites limites des relations régionales avec la Caraïbe.
« An ka potéw, ou ka trainin mwen »
Traduction littérale : Je te porte, tu me traînes…
Moralité : Tu est un poids mort pour moi car tu n’as pas pour moi les mêmes égards et attentions financières que j’ai pour toi.
Jean-Marie Nol, économiste