— Par Roland Tell —
L’Éducation Permanente, tel est le but de l’éducation scolaire et universitaire, mais c’est aussi son inspirateur. Il faut apprendre aux élèves et aux étudiants à tirer parti des sources d’information, pour leur propre perfectionnement, et donc à utiliser un certain nombre d’outils pour cette fin. Ce qui change complètement les structures de transmission des connaissances, et l’attitude pédagogique de type autoritaire ! En effet, celle-ci se fonde sur une dénivellation statutaire entre les générations, qui séparent l’adulte, responsable et indépendant, du jeune, irresponsable et dépendant – séparation, qui est devenue inséparable à la jeunesse, et qui n’a pas été comprise par l’éducateur dans sa véritable dimension. Cette séparation est liée à la séparation entre l’idée de formation autoritaire, le savoir donné entièrement par le professeur, et le contrôle du savoir, d’une part, et le changement d’attitude, où un certain nombre de responsabilités sont transférées à la jeune génération. Il faut éviter cette séparation, et celle qui existe entre l’univers scolaire, lié à des normes respectables, mais conventionnelles, et l’univers concret, où jouent les nécessités de travail, les engagements personnels, les responsabilités. L’école traditionnelle, ne joue-t-elle pas un rôle de refuge, aussi bien pour les élèves que pour les enseignants ?
Il faut donc réagir contre cette rupture et cette dénivellation, qui se cristallisent dans la conception traditionnelle de l’enseignement, c’est-à-dire dans la séparation, à caractère définitif, radical et irréversible de ce qu’on a fait à l’école, où l’on gagne des titres, pour les monnayer ensuite sur le marché extérieur. Contre cette conception, l’exigence de l’éducation permanente, et ses conséquences pédagogiques sur les structures scolaires, paraissent fondamentales. Nous voilà confrontés à la nécessaire continuité entre l’éducation scolaire et l’éducation permanente. Ce qui nous amène à considérer la reconversion pédagogique de l’éducation scolaire, sous l’angle des méthodes et des attitudes, qui réussissent dans le domaine extra-scolaire. Dans le cas de l’éducation permanente, il faut considérer à la fois la promotion sociale et la promotion culturelle. S’agissant de la promotion sociale, l’individualisation et la programmation des enseignements fondamentaux prennent le pas sur les processus inducteurs, dits d’éveil à l’école, parce que ceux-ci se trouvent, en ce cas, rattachés au milieu professionnel. Il n’y a pas de promotion sociale, sans relais situé dans le milieu même des individus, qu’on veut promouvoir. En outre, la promotion doit être en continuité avec les motivations diverses du travail.
Dans le cas de la promotion culturelle, il faut de nouvelles inductions, beaucoup plus larges, car il s’agit ici de motivations profondément personnelles. La promotion culturelle, c’est celle qui consiste, pour un travailleur, à approfondir telle ou telle question théorique ou esthétique, et ainsi à devenir un spécialiste de cette question. Les problèmes méthodologiques sont plus intéressants dans le cas des promotions, qui sont à la fois sociales et culturelles, où apparaît la nécessité de longs détours instrumentaux. Ceci nous amène à distinguer la promotion sociale continue et mineure de la promotion sociale discontinue et majeure. La promotion continue et mineure permet de passer à des niveaux immédiats, et liés à l’entreprise, amène une progression vis-à-vis du statut professionnel, alors que la promotion discontinue et majeure coupe radicalement avec les préoccupations immédiates, suppose une disjonction par rapport à la vie professionnelle quotidienne, pour entraîner de longs détours, par exemple au sein d’une université populaire.
Ainsi, en vue d’une promotion culturelle et sociale, le travailleur est contraint à de longs détours instrumentaux, à travailler simultanément sur le plan des réseaux conceptuels, sur le plan de la vie quotidienne, et sur le plan du renouvellement des motivations, susceptibles de s’appuyer sur un intérêt matériel. Ainsi, le mouvement vers la culture est facilité, dans la mesure où l’adulte peut vivre en rapport immédiat, évident, et général, entre ses connaissances, et sa vie professionnelle personnelle. A cet égard, les résultats de l’éducation scolaire jouent un grand rôle, car si l’adulte établit un rapport entre le quotidien et la culture, il risque de rejeter tout ce qu’il a appris comme étant « la théorie », et donc avoir un mépris de la théorie et du savoir. Ce mépris est très grave, et est engendré par la forme même, dont le savoir scolaire a été distribué. Cette attitude, qui consiste à rejeter tout savoir du côté de la théorie et de l’inutile, va jusqu’à un rejet de tout ce qui procède d’un savoir ordonné, selon des valeurs propres, c’est-à-dire de rejeter la culture en réseaux, de rejeter un essai de systématisation, d’approfondissement, d’intellectualisation de la vie quotidienne et de la vie professionnelle. Un grand nombre de travailleurs se condamnent ainsi à la stérilité, car non seulement ils ne progressent plus, mais, du fait même qu’ils rejettent, du côté des théories, tout ce qui peut nourrir leur intellect, ils régressent et perdent peu à peu les connaissances instrumentales les plus nécessaires, les plus fondamentales. Cette déperdition frappe ceux dont les acquisitions premières sont les plus humbles. D’où la nécessité de lier la méthodologie de l’éducation permanente aux méthodologies des enseignements scolaires et universitaires, et l’importance que représente, dans tous les niveaux, l’obligation d’articuler, sur l’expérience vécue, le savoir et les mécanismes. Ce qui donne, aux établissements scolaires, l’élargissement du vécu, d’une part, et la simplification fonctionnelle des savoirs et des mécanismes, de l’autre. Tout défaut d’intégration, entre le vécu et le savoir-mécanisme, risque d’entraîner une dissociation, dont les conséquences désastreuses sont incommensurables.
ROLAND TELL