Au dernier verre de Dido
C’est le nom du bar de Dido, le prête-nom de Dieudonné Niangouna dans ce seul en scène qui décrit les états d’âme d’un comédien congolais exilé en France. Pas si enthousiasmant a priori : on fait rarement du bon théâtre avec des états d’âme ! Il y a heureusement des exceptions et cette pièce est remarquable tant par la manière dont le sujet est traité que par l’interprétation du comédien-auteur.
Parlons de celle-ci d’abord. Le comédien Niangouna reste pendant la quasi totalité de la pièce les deux pieds campés de part et d’autre du petit point jaune qui marque l’emplacement sur lequel sont réglées très précisément les lumières qui participent ici pleinement au spectacle. Pendant une bonne partie de la représentation il restera à peu près immobile, ne jouant que de son bras droit, l’index pointé sur les spectateurs. Par la suite il variera (un peu) son jeu, sans bouger les pieds, faisant mouvoir ses deux bras ou se tournant à jardin pour incarner ou répondre à un interlocuteur imaginaire. Une petite inquiétude malgré tout, au tout début, quand il débite un texte plutôt abscons sur un ton haché, mais ce n’est que le début, une mise en jambes – si l’ose dire à propos de quelqu’un qui ne les bougera pas, ses jambes – faite sans doute pour nous déstabiliser, nous intriguer, préparer le moment où nous deviendrons réceptifs. À ce prologue près – et encore – on ne peut que s’incliner devant le savoir faire de l’artiste. Chapeau ou plutôt casquette (puisque c’est le couvre-chef qu’il a choisi pour la circonstance) Monsieur Niangouna !
La présentation de la pièce sur Madinin’Art et sa critique par Michèle Bigot nous en apprennent déjà beaucoup sur cette pièce, ce qui permet de se concentrer sur un seul point. On sait combien le théâtre politique est une aventure risquée : la dénonciation du Mal, pour nécessaire qu’elle soit, n’apporte pas grand-chose quand elle s’adresse à un public convaincu d’avance. C’était pourtant pour Niangouna, victime d’un dictateur qui l’a contraint à l’exil, une porte ouverte dans laquelle il était trop facile de s’engouffrer. Et certes, il la franchit mais c’est qu’il fallait bien introduire le sujet de cette pièce qui est en réalité tout autre : pas du théâtre politique dont on ne dira jamais suffisamment les écueils (1) mais une pièce sur le théâtre politique, ce qui n’est évidemment pas du tout la même chose.
De quoi s’agit-il en effet ? La clientèle de Dido, dans son café, est constituée essentiellement d’artistes émigrés africains – pardon « afro-africains » – comme lui-même. Ces gens-là sont en colère. Les « États généraux des comédiens émigrés dans le pays d’accueil » qui se sont tenus dans le bar ont décidé que seul le théâtre … politique pouvait être toléré parmi eux. Ce sont les réticences de Dido, confronté à une démarche qu’il qualifie entre autres de « communautariste », qui font tout l’intérêt de la pièce. Il est lucide : « Vendre du boudin sur un théâtre » (expression on ne peut plus éloquente, manière peut-être de nous rappeler qu’il fut artiste invité du IN d’Avignon en 2013) n’est sans doute pas très glorieux mais cela a au moins pour soi une certaine humilité qui manque cruellement à la plupart des tenants du théâtre engagé, des donneurs de leçons qui ne convainquent qu’eux-mêmes (les spectateurs l’étant d’avance comme noté plus haut).
Cependant Dido n’est pas immunisé contre la culpabilité. En quoi il demeure humain, contradictoire et c’est pourquoi, finalement, nous pouvons communier avec lui. Oui, rien n’est clair, rien n’est simple : « Y a-t-il un chemin ? » interroge-t-il au moment le plus poignant de la pièce. Nous le voyons se débattre avec lui même, son « Moi-Tout-seul », son « Moi » contre son « Tout-seul » et nous comprenons que, parfois, le théâtre n’est pas du théâtre, qu’il peut être tout simplement la VIE.
De ce côté. Texte, mise en scène et jeu Dieudonné Niangouna. Création lumières Laurent Vergnaud.
En tournée à Tropiques Atrium le 10 novembre 2023.
(1) Cf. notre article, « Le Théâtre et ses spectateurs », Esprit, mars-avril 2014.