— Par Grégory Marin —
L’actrice Charlotte Valandrey est décédée le 13 juillet à l’âge de 53 ans. De «Rouge baiser» à «Demain nous appartient», son itinéraire professionnel chaotique a été profondément marqué par sa séropositivité.
Charlotte Valandrey ne manquait ne pas de cœur, et c’est ce qui l’a trahie. L’actrice est décédée mercredi soir, à l’âge de 53 ans seulement, après le rejet de sa troisième greffe de cœur. Toute sa vie elle s’est battue contre le virus du Sida, se réinventant constamment après que la carrière cinématographique qui lui avait été promise par un démarrage prometteur lui soit refusée devant la peur de cette maladie.
L’actrice avait publiquement révélé sa séropositivité en 2005, dans un roman autobiographique, L’Amour dans le sang, gros succès de librairie (180 000 ventes) plus tard adapté en téléfilm. Mais lorsque le succès a frappé à sa porte, elle n’avait pas 17 ans, et n’était pas au courant. Elle avait passé un premier casting pour «Hors-la-loi», de Robin Davis, en 1985. Ses parents avaient refusé qu’elle tourne une scène nue prévue au scénario, et Dominique Besnehard, qui deviendra son agent et son ami, envoie ses bouts d’essai à Véra Belmont, qui cherche une jeune actrice pour «Rouge baiser». «Elle l’a choisie», se souvient l’agent dans Le Parisien, et «l’année d’après, Charlotte a remporté l’Ours d’argent au festival de Berlin». Charlotte interprète Nadia, une jeune communiste dans le Paris des années 50 qui après une manifestation qui tourne mal, rencontre Stéphane (Lambert Silson), un photographe de Paris-Match. La jeune fille aux convictions très ancrées (elle traite Paris-Match, dont la rédaction est alors dirigée par un journaliste communiste, de «fasciste») va, contre toute attente, tomber amoureuse. Il fallait toute la fougue de la jeunesse, et la finesse de jeu de la jeune actrice, pour donner tout son relief à cette interprétation. A l’époque, elle faisait jeu égal avec Sophie Marceau.
Mais elle apprend qu’elle a contracté le VIH, et si elle taira sa condition jusqu’en 2005 («La maladie, cette garce, je la tenais à distance», confiera-t-elle plus tard à L’Express), elle en informe ses parents, ses proches, ses partenaires… et Jean-Claude Brisseau, avec qui elle vient de passer un casting pour Noce Blanche. Elle n’est pas retenue, et c’est Vanessa Paradis qui apparaîtra à l’écran en 1989. « Les paillettes s’envolent comme des cendres… Un truc s’était cassé, le cinéma m’avait quittée », déclare Charlotte Valandrey. Le rêve de la montée des marchés à Cannes s’éloigne.
La suite de sa carrière se fera à la télévision essentiellement: de 1991 à 2000, elle incarne la fille journaliste de Pierre Mondy dans la série Les Cordier, juge et flic. Pas de quoi rougir: la série attire jusqu’à 11,4 millions de téléspectateurs. Mais rares sont les réalisateurs qui lui accordent sa chance. Josée Dayan, qui a fait tourner dans «Le Gang des tractions» (1991) cette actrice avec «énormément de caractère» avance qu’elle ne pouvait pas être assurée sur le tournage, en raison des rumeurs sur sa séropositivité. Une «injustice» dont la réalisatrice a fait fi mais qui a plombé le reste de la vie professionnelle de l’actrice.
Elle se tourne alors vers l’écriture, publiant sept livres (le dernier en 2022), et ce n’est qu’en 2017 qu’elle retrouve le chemin des plateaux de télévision. De 2017 à 2019, elle incarne la juge Laurence Moiret dans «Demain nous appartient», le feuilleton quotidien de TF1. «Quand elle a arrêté le feuilleton, elle l’a très mal vécu aussi», assure Dominique Besnehard. Sa trithérapie avait à nouveau épuisé son cœur: elle qui avait été transplantée en 2003, devenant la première séropositive greffée du cœur en France, s’était faite opérer pour la troisième fois le 14 juin. Mais ce nouveau cœur a été rejeté.
La comédienne aura lutté toute sa vie contre la maladie. « En sortant de ma greffe, je pesais 35 kg. J’ai divorcé, déménagé, je n’ai plus eu de travail ou de vie sociale. Ça faisait beaucoup. ». Elle donne tout de même naissance à une fille en 2000, née séronégative, subit un infarctus en 2008, s’engage en faveur du don d’organes et devient la marraine de la fondation Greffe de vie. A l’annonce de son décès, l’association Aides a salué celle «qui a maintes fois contribué à nos côtés à lutter contre le VIH et les discriminations subies par les personnes qui vivent avec». Le Sidaction «une grande et inlassable témoin de la vie avec le VIH et a ainsi permis de faire avancer le combat contre la stigmatisation». L’actrice ne ratait jamais une occasion de glisser quelques mots sur ce combat. Fin 2016, interrogée par France Dimanche à propos de son dernier livre, elle rappelait l’importance du traitement du VIH. « Aujourd’hui, si l’on est bien traité, si on prend ses médicaments sérieusement et si la charge de ce virus est indétectable, comme c’est le cas pour moi, on n’est plus un danger pour ses partenaires sexuels. Je suis devenue ‘séro-inoffensive’!«.
Sa combativité ne l’empêche de ressentir une à.estime justifiée quant à la façon dont le métier l’a ignorée, elle et cette maladie qui faisait peur et suscitait un terrible rejet à l’orée des années 1990. « Aujourd’hui, quand Stromae chante ses pensées suicidaires ou Florent Pagny parle de son combat contre le cancer, on les soutient et c’est bien, confiait-elle à Gala, en mars 2022. Moi, à l’époque, on m’a laissée toute seule dans mon coin. »
Source : L’Humanité.fr