L’enfermement prolongé de la population peut avoir des impacts psychologiques…
L’enfermement prolongé de la population peut avoir des impacts psychologiques négatifs chez de nombreuses personnes allant de l’anxiété à la décompensation. Pour 5 à 15 % de la population, des troubles peuvent même émerger qui nécessitent une prise en charge. Mais des moyens de s’en prémunir existent. Entretien avec David Gourion, psychiatre et ancien chef de clinique à Sainte-Anne.
Alors que plus de trois milliards de personnes sont actuellement confinées dans le monde, de nombreux experts s’interrogent sur les risques psychologiques d’une telle situation. C’est le cas du psychiatre David Gourion, qui propose, avec le minisite Internet #StaySafe, des outils à destination des étudiants pour surmonter le stress et l’anxiété provoqués par cette période.
Quels effets le confinement peut-il avoir sur notre santé mentale ?
David Gourion Les psychiatres chinois, qui ont un peu de recul sur le confinement, décrivent l’apparition d’un sentiment de frustration, d’irritabilité, de colère, d’ennui et d’impuissance croissant au fil du temps. S’ajoute une peur de la contamination, autant celle d’être contaminé que de contaminer les autres. Face à cela, les personnes âgées ou isolées et les adolescents sont les populations les plus fragiles. Mais le confinement peut avoir un impact sur une grande majorité de la population. Chez 5 à 15 % de la population, des troubles peuvent même émerger, nécessitant une prise en charge : attaques de panique et autres troubles anxieux, états dépressifs, addictions, idées suicidaires, etc. Il faut donc faire de la prévention et du repérage précoce de ces troubles psychiques, même lorsque nous aurons surmonté la pandémie. Des études réalisées sur les effets psychologiques du confinement révèlent ainsi des décompensations aiguës chez les personnes qui souffraient préalablement de troubles psychiques, mais également l’apparition de troubles anxieux chez des personnes sans antécédents.
Concrètement, pourquoi ce confinement prolongé a-t-il un impact ?
David Gourion Nos humeurs, liées directement à la façon dont nous vivons le confinement, vont agir sur notre santé mentale. Cela peut être la solitude, l’enfermement, la promiscuité avec ceux avec qui nous sommes confinés, la rupture sociale, la frustration accumulée de ne pouvoir sortir, faire du sport, etc. Le fait de devoir changer ses habitudes peut aussi provoquer de l’anxiété. Autres données à surveiller : l’augmentation de la consommation d’alcool, ou le fait qu’il existe ou non un climat de violence à la maison. Car les risques de violences familiales augmentent en période de confinement. L’autre facteur qui peut provoquer une peur et un stress importants, c’est l’impossibilité de prédire l’évolution de la pandémie et la durée du confinement. Les conditions socio-économiques sont bien sûr un facteur aggravant. Se retrouver confiné en famille dans un logement exigu, ce n’est pas tout à fait la même chose que dans un grand appartement ou une maison avec jardin. Et si des pathologies apparaissent dans les populations défavorisées, elles pourraient ne pas bénéficier de soins aussi rapides et efficaces que les autres.
Dans ce contexte, certains psychologues ou psychiatres proposent des consultations gratuites. D’autres plaident pour la mise en place d’une cellule psychologique dédiée. Vous y êtes favorable ?
David Gourion Oui, une aide psychologique peut être indispensable pour prévenir l’apparition de pathologies. La Chine a mis en place un numéro d’appel 7 jours sur 7, 24 heures sur24 pour les personnes en situation de détresse psychique, avec un plan de gestion du stress adapté à chaque type de population : les anxieux, les malades, les familles, les personnes âgées. Nous essayons de voir avec un certain nombre de collègues psychiatres et psychologues comment nous pouvons aider à développer des réseaux de soutien psychologique, en priorité à destination des soignants, mais également ensuite à destination de la population.
Un confinement prolongé peut-il créer un syndrome de stress post-traumatique ?
David Gourion Oui, on observe des états de stress post-traumatique, notamment chez les personnes qui ont eu un proche contaminé ou malade, ou bien qui ont été contaminées elles-mêmes. En Chine, après un mois de confinement, environ 7 % de la population présentait des symptômes de stress post-traumatique : insomnies avec cauchemars, images mentales effrayantes intrusives et récurrentes, hypervigilance avec sentiment d’insécurité permanente, fatigue, problèmes de concentration… Chez certaines personnes, l’épidémie vient réveiller des souvenirs traumatiques plus anciens, qui vont se réactiver de façon délétère.
Les personnes souffrant déjà de troubles psychiques sont donc plus exposées aux effets du confinement ?
David Gourion Outre leur fragilité émotionnelle, ces personnes cumulent, plus fréquemment hélas que les autres, différentes vulnérabilités : difficultés financières, isolement sociofamilial, problèmes médicaux, etc. De ce fait, la situation actuelle de confinement peut avoir un impact émotionnel encore plus important. Le sentiment d’exclusion sociale et de stigmatisation, auquel ces personnes sont exposées en temps habituel, est accru. Je redoute également que les patients souffrant de maladies mentales sévères ne bénéficient pas des meilleurs soins. Lorsque les problèmes de saturation des services de santé vont s’aggraver, il y a un risque qu’ils soient relégués au second rang sur les listes d’attente pour la réanimation. Cela a été le cas en Chine, où ces patients ont été les premiers à mourir du Covid. Ce serait une double peine insupportable. Enfin, il a été montré que les personnes en situation de détresse psychique ne suivent pas, ou mal, les recommandations de santé publique, notamment le confinement. Autrement dit, maintenir une bonne santé mentale dans la population jouera également un rôle dans l’extinction de l’épidémie.
Comment peut-on prévenir ces différents risques ?
David Gourion En créant des routines, afin de maintenir ses rythmes biologiques : horaire de lever matinal identique chaque jour, horaires de repas réguliers, activité physique minimale et régulière, maintien des liens sociaux – pas uniquement virtuels si c’est possible. Il faut aussi continuer de se fixer des challenges, lire, écouter de la musique, se cultiver, prendre soin des autres… Ce n’est pas parce qu’on est confiné que l’on ne peut pas avancer !
L’accès à une bonne information peut-il aider à rationaliser ses peurs ?
David Gourion Absolument. Il faut éviter la lecture de fake news et autres théories du complot qui ne peuvent qu’augmenter notre niveau de stress. L’idéal est d’avoir de bonnes sources d’information, fiables et vérifiées, et d’y accéder sur des temps restreints (par exemple matin et soir, mais pas pendant toute la journée). Chez les personnes anxieuses, l’hyperexposition médiatique à flux continu est vraiment à éviter.
Entretien réalisé par Florent Le Du
Source : Lhumanite.fr