— Le n° 341 de « Révolution Socialiste », journal du G.R.S. —
Côté cour : c’était dans le sourire, le tutoiement, les promesses doucereuses. C’était à la CTM, dans le cadre officiel de la visite ministérielle : on mettra, dixit Darmanin, des radars pour surveiller les côtes par où arrive la drogue. On va mettre des crédits aux budgets des collectivités pour remplacer l’octroi de mer que l’État prévoit de réformer.
Mais aucun martiniquais n’ignore le proverbe : « SÉ SA KI AN FAL-OU, KI TA-W ! ». Le mouvement populaire n’a pas dit son mot sur ces questions, parce qu’il n’en a pas débattu.
À suivre, comme est à suivre aussi, le débat annoncé sur les institutions. Le retard à l’allumage au sein du mouvement ouvrier et populaire est évident.
Côté jardin : l’atmosphère est plus corsée. Les gaz lacrymogènes (ou assimilés !) ont la parole. La cinquantaine de manifestant·e·s du début grossit jusqu’à approcher les 300 personnes. Slogans et prises de parole se succèdent.
Le sujet du jour, c’est l’exigence de la libération de Pinto, l’application des décisions de justice favorables aux héritiers Grat (dont Hervé Pinto), la fin des vols de terres en Martinique, le renvoi de la Procureure provocatrice…
Évidemment, bien d’autres questions méritent d’être mises au devant de la scène. C’est la réflexion faite par Matinik-Doubout Gaoulé kont Chlordécone qui a publié pour l’occasion la lettre ouverte aux ministres (ci-dessous). Bien entendu, la mobilisation continue pour la libération immédiate de Pinto.
Parmi les actions envisagées, un nouveau rendez-vous de masse est prévu, dimanche 24 mars sur les lieux.
Lettre ouverte de Matinik Doubout Gaoulé Kont Chlordécone
À Madame Marie GUEVENOUX, Ministre déléguée chargée des outre-mer,
Avez-vous noté comment le sol du territoire que vous foulez est brûlant… de colère, d’indignation ?
Avez-vous respiré l’air empuanti de gaz lacrymogène lancé par des auteurs de la répression placée sous votre autorité ? Il nous revient votre phrase célèbre : « on n’envoie pas les CRS contre des gens qui souffrent…. ».
Êtes-vous réellement informés des souffrances endurées, chez-nous, du fait des politiques que vos prédécesseurs et vous-mêmes, décidées chez vous ?
Les terres sur lesquelles vous promenez vos pas, en ce moment, ne sont pas seulement l’objet d’âpres combats pour que leurs propriétaires légitimes n’en soient pas dépossédé·e·s. Elles sont aussi polluées dans des proportions que nous ne connaissons toujours pas avec précision, par ce poison, tristement célèbre, dont l’État a permis, voire encouragé, la diffusion. Vos services sont, en revanche, bien informés de l’état écocidaire caractérisé dont le Vivant est aussi victime chez nous : terres, nappes phréatiques, rivières, mers, faune, flore, humains…
La Martinique observe, ahurie, votre majorité ergoter devant l’exigence de deux propositions de loi, pour la vérité et les réparations de l’abominable crime du chlordécone.
Aurez-vous le mauvais goût de répéter l’alibi, frauduleusement évoqué par un certain garde des sceaux, de la séparation des pouvoirs, pour couvrir l’impunité des responsables de l’empoisonnement, alors que les procureurs dépendants, par définition du ministère de la justice, ont tout fait pour entraver la recherche des coupables, et pour organiser ainsi, une prétendue prescription des crimes commis ?
Il y a un terrible point commun dans les affaires qui secouent la Martinique. L’État protège les responsables du crime chlordécone comme les bénéficiaires des vols de terre, et embastille, harcèle ceux qui crient leur colère et réclament justice.
Ne vous y trompez pas ! L’opinion publique n’accepte pas vos arrangements avec la vérité, rejette l’impunité des non-lieux, et dénonce la criante insuffisance des réparations. Déjà, des centaines de Martiniquaises et Martiniquais ont entamé une démarche de constitution de partie civile dans le dossier pénal. Le sort des propositions de loi est observé avec attention. Les condamnations portées par diverses instances internationales, dont des organismes de L’ONU, renforcent notre détermination.
« NOU PÉ KÉ MOLI !» crient les peuples de Martinique et de Guadeloupe. Il vous sera coûteux de l’oublier.
CHRONOLOGIE DU CRIME CHLORDÉCONE
DE SES DÉBUTS, JUSQU’À 1972
Le chlordécone a été découvert en 1950, breveté en 1952 aux États-Unis et fabriqué comme pesticide à usage agricole à partir de 1958, sous le nom commercial de Kepone ou GC-1189. Pour faire face aux ravages causés par le charançon dans les bananeraies, la société Laguarigue SA, souhaita importer ce produit des USA.
Mais, 27 juin 1966 : avis négatif (commission des toxiques), le Kepone, non autorisé.
19 décembre 1968 : rejet des demandes de la société SOPHA (Fort-de-France), le 10 janvier 1968, puis le 9 mai 1968 pour la société SEPPIC.
29 novembre 1969 : avis négatif de la commission des toxiques, suivant la décision du 19 mars 1969 pour la société SEPPIC.
DEUX RAISONS DE FOND SONT AVANCÉES :
L’intoxication attaque le foie, les reins et se stocke dans les graisses. Les cobayes meurent au bout de 6 mois.
C’est un composé organochloré toxique avec des risques de contamination du milieu environnant. Rejet du produit avec inscription au tableau A (toxique).
05 décembre 1969 : le Comité d’étude rend un avis négatif à l’homologation, entériné par une décision du ministre.
30 novembre 1971 : ajournement de la décision de la commission des toxiques tenant compte de l’homologation ajournée du 05/12/1969. Le réexamen ne vaut qu’avec des éléments factuels nouveaux inversant l’avis défavorable du 29/11/ 1969.
ET POURTANT !
1er février 1972 : la commission des toxiques rend un avis pour une autorisation provisoire de vente (APV) pour un an.
29 février 1972 : une autorisation provisoire de commercialisation du «Kepone 5% SEPPIC » est accordée pour un an, sans que l’étude de toxicité ait été entreprise.