Dany Laferrière à l’Académie française : un pied de nez à la vision misérabiliste d’Haïti

— Par Jean-Robert Leonidas, Médecin et écrivain —

dany_laferriereLe Canadien d’origine haïtienne Dany Laferrière a rejoint l’Académie Française jeudi 28 mai. C’est une consécration pour l’écrivain de 62 ans mais aussi pour tout le peuple haïtien. Jean-robert Léonidas, lui aussi écrivain et haïtien, nous explique pourquoi cela représente la montée en puissance de son pays.

Plus de 30 ans après Marguerite Yourcenar, la première femme à l’Académie Française, plus de trente-trois ans après Léopold Sédar Senghor, le premier Africain à y siéger, Dany Laferrière vient d’être effectivement admis sous la Coupole.

Il y fait une entrée triomphale et avec lui toute une culture, tout un pays. Haïti existe bel et bien dans tous les secteurs.
Elle est même devenue immortelle en littérature, après tant d’éclats réalisés dans le domaine par plusieurs de ses fils et filles. Mais Dany Laferrière a porté tout cela au paroxysme.

La montée en puissance d’Haïti
Cette montée en puissance d’Haïti au niveau des lettres, c’est un pied de nez à une certaine vision misérabiliste, au questionnement sans doute malencontreux de la réalité existentielle même du pays.

Alexandre Dumas père, fils du général métisse de Saint-Domingue, petit fils de la belle négresse Marie Cécette Dumas, avait juste effleuré cet honneur. Il n’a eu droit qu’au « 41e fauteuil », selon la célèbre formule d’Arsène Houssaye.

C’est-à-dire que, comme d’autres, il aurait pu entrer dans le cénacle des Quarante mais, pour une raison quelconque, il n’a pas eu cette grande chance.

Heureusement que son fils, l’auteur de « La dame au camélia », a relevé l’honneur. C’était déjà une annonce prémonitoire à ce qui devait arriver plus tard, un préambule à lignée hautement littéraire saint-domingoise pour ne pas dire haïtienne qui pose son premier jalon avec l’arrière petit-fils de Marie Cécette Dumas pour se positiver avec Dany Laferrière qui aujourd’hui occupe justement le même fauteuil F2 de son illustre prédécesseur.

Dany Laferrière, la fureur d’écrire

Richelieu fonde l’Académie en 1635.

Pendant cette période, il souhaite développer les colonies. La ville de Petit-Goâve (Saint-Domingue) est l’une des premières créée par les Français sur la grande terre d’Haïti après qu’ils se sont établis à l’Île de la Tortue et à l’Île à Vache.

Et c’est précisément dans cette ville de Petit-Goâve que, 300 ans et des poussières plus tard, grandira Dany Laferrière avec au cœur la fureur d’écrire.

De porter bien haut la culture de sa terre d’origine, Haïti, et de sa terre d’adoption, le Québec. « Je suis né en Haïti, mais je suis né écrivain au Québec » dira-t-il et il faut bien accepter son jugement en ce sens.

Du latin, mon frère !

Dur a été le chemin et resserrée la voie.

Il a dû passer sous les Fourches Caudines avant de se sentir pousser des ailes pour rejoindre les étoiles. Il a même signé un titre très symptomatique : « Je suis fatigué ».

Divers honneurs. De multiples prix. Ad augusta per angusta. Je ne sourcille même pas en sortant mon latin. Du latin, mon frère ! Du grec, ma sœur !

N’est-ce pas sans ironie une affaire de haute culture ? Voici un petit mot que j’ai adressé à Dany bien avant les résultats et dès l’annonce de sa candidature au fauteuil (F2) d’Alexandre Dumas fils et du délicieux et musical Hector Bianciotti :

« Je tiens à manifester mon soutien plein et entier à Dany Laferrière. Il mérite cette entrée à l’Académie française. La lecture de ses ouvrages et du ‘Journal d’un écrivain en pyjama’ m’en a convaincu. ‘Pyjama’ est une vraie litote. Rien de somnolent. Il y a dans le mot une ‘insoutenable légèreté’ à la Kundera. Il fallait carrément dire ‘Journal d’un écrivain en habit vert’. J’ai été époustouflé par la profondeur et l’étendue de la culture de l’auteur… Pénétrer sous la coupole sera glorieux pour lui, pour le monde et pour Haïti. Il aime Haïti et sa littérature. Il accueille les succès littéraires du pays, y compris le dernier prix Fémina attribué à Yanick Lahens. D’un point de vue personnel, c’est un collègue tellement généreux ! À la Porte de Versailles, au salon du livre de Paris 2013 il est même venu acheter mon dernier roman. À chacun son big-bang. Bravo Monsieur Laferrière ! »

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