—Par Selim Lander –
La politique est elle soluble dans la danse (à moins qu’il ne faille dire l’inverse) ? Le risque évident pour le chorégraphe est de se laisser dominer par son sujet, de vouloir coller de trop près à la réalité qu’il décrit, surtout lorsqu’il s’agit d’un événement réel – la marche pour les droits civiques de 1963 et le discours qui l’a clôturée (« I have a dream » – qui donne son titre au ballet) – dûment répertorié, enregistré, filmé. Risque d’autant plus fort, en l’occurrence, lorsqu’on découvre que le chorégraphe américain, Bruce Taylor, alors jeune adolescent, avait lui-même participé à la marche. La première partie du ballet ne fait que renforcer ces craintes : la chorégraphie, peu inventive, est écrasée par les images historiques projetées sur l’écran géant en fond de scène.
Et puis tout change : les projections s’espacent, la danse prend de la vigueur, la musique devient plus prégnante, cette musique des années soixante – pop, blues, gospel – si riche, dont la comparaison avec la musique populaire d’aujourd’hui (sans même parler du zouk, hélas !) s’avère si cruelle pour le temps présent. À cet égard, qu’on nous permette de déplorer une nouvelle fois la grande misère des si nombreuses chaînes de radio martiniquaises, lesquelles – pour la quasi-totalité d’entre elles – diffusent en permanence la même musique (mais s’agit-il encore vraiment de musique ?) totalement insipide.
Le corps de ballet comporte quatre danseurs et deux danseuses exactement répartis entre noirs et blancs, plus une troisième danseuse, personnage énigmatique aux longs cheveux dénoués, aux apparition épisodiques, qui se contente le plus souvent d’arpenter la scène en regardant les évolutions des autres danseurs, mais qui esquisse à un moment un pas de deux particulièrement frappant, peut-être simplement parce qu’il accompagne une formidable chanson : Sound of Silence.
Six danseurs + une, cela permet toutes sortes de combinaisons. Très rapidement en fait, cette pièce qui paraissait ampoulée et sans âme au début prend son élan. Les tableaux s’enchaînent et ne se ressemblent pas. Des bacs de rangements en plastique servent à configurer des éléments de décor (mur, colonnes) ou servent d’accessoires (tabourets). Un tableau particulièrement réussi fait intervenir d’abord deux danseurs vêtus d’un simple tablier noir, sans doute des ouvriers, un noir et un blanc qui se bagarrent, puis un deuxième blanc les rejoint et le combat se poursuit jusqu’à la réconciliation générale… sauf que, à la fin des fins de ce tableau, le noir est chassé par une bourrade qui paraît plus agressive qu’amicale. Moyennant quoi tout n’est pas gagné !
Les danseurs réunis par Bruce Taylor sont tous d’un niveau professionnel. La chorégraphie exige d’eux peu de prouesses mais les mouvements d’ensemble sont réglés au cordeau et les danseurs comme le chorégraphe ont eu droit à une ovation bien méritée. Cela étant, il n’était pas nécessaire d’enfoncer le clou in fine en faisant apparaître le président Obama sur l’écran pour mettre en parallèle sa formule trop célèbre : « Yes we can ! » avec celle de Martin Luther King. Certes Obama est le premier président noir américain, ce qui n’est pas rien, mais son premier mandat, comme le début du second, le montrent le plus souvent dépassé par les circonstances, en position d’infériorité par rapport au Congrès, aussi incapable de régler le problème afghan que le problème palestinien. C’est toute la différence entre un grand politique comme le fut Luther King – qui le paya de sa vie – et un simple politicien.
En tournée au CMAC de Fort-de-France le 1er février 2014.