— Par Marina Da Silva —
Pour Hocine Chabira, qui en a pris la direction en 2017, l’ouverture du Festival Passages aux pays africains et caraïbéens va de soi « parce qu’avant qu’une partie de la population devienne blanche, nous avons tous été noirs ». C’est aussi une posture anti-Trump, alors les artistes invités viennent d’Afrique du Sud, du Burkina Faso, des Caraïbes, du Congo-Brazzaville, d’Éthiopie et aussi d’Irak, de Syrie, de Turquie et d’Europe. Le metteur en scène irakien Haythem Abderrazak a pu franchir la zone d’embargo, toujours à l’œuvre en matière de création, et présente la Maladie du Machrek, une adaptation d’Horace de Heiner Müller qu’il joue en tous terrains – Erbil, Bagdad, Redeyef en Tunisie, aujourd’hui à Metz, puis à Besançon. Avec ses comédiens irakiens rompus à un théâtre physique et total, il s’immerge avec des amateurs pour transposer le conflit entre les Horaces et les Curiaces dans la guerre irakienne qui a suivi le renversement de Saddam Hussein, où s’entre-déchirent Kurdes, chiites et sunnites, sous le regard satisfait des Américains.
l’univers ouaté de Leila va virer au cauchemar
Sur la Syrie, il ne faut pas manquer X-Adra, où d’ex-prisonnières jouent leurs propres témoignages de captivité et de torture dans la terrible prison de Damas pour avoir participé aux manifestations qui voulaient la chute de Bachar Al Assad. Une création qui célèbre le retour à la vie et porte la voix et l’histoire des milliers de détenus qui y meurent toujours à petit feu.
De l’ambitieux projet Pandora’s Box, présenté en mars à Berlin, qui devait interroger la montée des populismes et du sentiment nationaliste en Europe en mettant en miroir les œuvres d’auteurs français, allemand, polonais et hongrois, il ne subsiste plus que Mes amis (Safe European Home), de Philippe Malone, mis en scène par Laurent Vacher. Si le pari de documenter les discours d’exclusion qui gangrènent l’Europe n’a pas tenu ses promesses, compte tenu de la disparité des formes et des moyens de production des propositions artistiques, il a permis à Philippe Malone et Laurent Vacher d’aller au bout de leur partie. Nous voici donc en France, dans un univers ouaté où Leila, qui ne compte pas ses heures de travail, s’apprête à marquer la fin de la semaine en invitant chez elle, comme d’habitude, ses amis et collègues, Antoine, Renan et Emma. Emma ne viendra pas. Antoine et Renan, après d’incroyables péripéties, déjoueront le blocage total des moyens de transport. Un attentat a été commis. Et l’univers ouaté de Leila va virer au cauchemar. Subtile écriture aux entrées et digressions multiples de Philippe Malone, qui jongle avec un récit du quotidien et des questionnements éthiques et métaphoriques. Mise en scène sobre et efficace, qui vient sertir l’excellente partition de Lia Khizioua, Jonas Marmy et Alexandre Pallu. Le spectacle sera suivi d’une rencontre pour questionner la place des artistes et de la création indépendante en Europe.
Au programme encore, Ethiopian Dreams, un cirque éthiopien, And so you see, la performance sud-africaine de Robyn Orlin, Play, la version turque d’En attendant Godot, Monstres/On ne danse pas pour rien du Congolais DeLaVallet Bidiefono… de nombreux concerts, des expositions, des rencontres, un pique-nique festif… Passages se veut avant tout un espace de partage, d’ouverture à l’autre, à son histoire et à son art.
Source : L’Humanité.fr