— Par Selim Lander —
Tropiques-Atrium, comme chacun sait, a obtenu/retrouvé le label scène nationale jadis perdu par le défunt CMAC. C’est une chance pour les Martiniquais qui ont ainsi accès à un large panorama de la création contemporaine dans les domaines de la danse, de la musique, du théâtre. Cela étant, les artistes vivants, dans la mesure où ils ne se contentent pas de répéter le passé, encourent le risque de heurter le public. Qui dit création dit nouveauté ; qui dit nouveauté dit danger. Un danger partagé : l’artiste risque de se heurter à l’incompréhension du public ; le public risque de s’ennuyer, voire d’être heurté dans ses convictions intimes. Comme nous l’avons signalé à plusieurs reprises, le risque est d’autant plus grand, aujourd’hui, que les artistes se sont accordés, en matière de création, une liberté inimaginable par les générations antérieures aux Duchamp, Picasso, etc. « Le presque rien, le n’importe quoi » côtoient désormais les œuvres conjuguant une imagination puissante et un véritable savoir-faire.
Dans une telle confusion, l’arbitraire ne peut que régner. À côté des artistes que leurs qualités imposent (presque) naturellement, les autres ont aussi leur chance. Dans les arts plastiques, l’engouement d’un galeriste renommé, ou d’un collectionneur leader sur le marché de l’art, ou du commissaire d’une grande exposition peut suffire pour lancer une grande carrière internationale. Mutatis mutandis, il en va de même de la danse. Et c’est ainsi que les amateurs martiniquais se trouvent confrontés aussi bien à des pièces incontestables qui soulèvent un enthousiasme général qu’à des pièces plus absconses qui peuvent certes enthousiasmer certains mais qui ne suscitent chez les autres que des applaudissements polis (contrairement à d’autres, le public martiniquais s’abstient de siffler – sans doute parce que tout le monde se connaît plus ou moins ici).
Christian Rizzo appartient à la cohorte des créateurs contemporains qui divisent ainsi le public entre une minorité qui se veut éclairée et une majorité qui s’avoue réticente. Il a créé pour un danseur turc (ou d’origine turque), Kerem Gelebek, une pièce au titre alambiqué (« C’est l’œil que tu protèges qui sera perforé ») sur le thème de l’exil. Le prologue – interminable – qui laisse le danseur assis sur une caisse sur un fond musical se résumant à une sorte de grondement mystérieux, annonce la couleur. Et de fait, la suite restera tout aussi sibylline et pas beaucoup plus dynamique. La caisse, peu à peu se défera, les panneaux étant méticuleusement alignés à cour. Sortiront de la caisse quelques accessoires : un petit sapin en pot, une chaise. Le danseur est également muni d’un sac à dos d’où il extraira un peu de gravier et des lettres rouges avec lesquelles il écrira un mot anglais, « Here » (« ici »), qu’il complètera in fine par l’adjonction d’un « T » pour faire « There » (là-bas), deux mots qui ne manquent pas, en effet, de résumer l’exil.
Comme il ne se passe pas grand chose, on se prend à attendre les variations de la bande son et des lumières, les meilleurs ingrédients du spectacle. Par contre, qui ne fait pas partie des amateurs éclairés reste de marbre devant la chorégraphie minimaliste de Rizzo. Quant à Kerem Gelebek, grand et élégant, il est impossible de se prononcer sur ses qualités de danseur tant ce qu’on lui demande apparaît limité : beaucoup de travail au sol, quelques pas chassés tournants, rien de spectaculaire.
Tropiques-Atrium, le 6 janvier 2017.