— Par Selim Lander —
« Tant de chemin parcouru, Mama Africa,
et ta robe est toujours plus rouge-sang,
plus rouge de rage et de colère… »
Une voix se fait entendre parfois dans Le Manteau, délivrant une parole poétique ou rappelant, grâce à quelques statistiques, les malheurs de l’Afrique. Car la chorégraphe Irène Tassembédo n’est pas mue uniquement par une intention artistique. Elle s’engage, elle dénonce… tout en s’interrogeant sur l’utilité pratique de sa démarche : « Le geste et la musique peuvent-ils panser les blessures ? Cette interrogation ontologique de la chorégraphie africaine contemporaine, je la reprends à mon compte », a-t-elle déclaré. I. Tassembédo, après une carrière menée principalement en France, est retournée dans son pays natal, le Burkina Faso, en 2007. Elle y a fondé une école et plus récemment lancé le Festival international de danse de Ougadougou. À l’entendre, elle voudrait assigner à la danse une fonction cathartique. Si l’on aimerait qu’il en soit ainsi, l’on voit bien que les choses ne sont pas aussi simples et l’on comprend qu’elle-même soit amenée à douter.
En tout état de cause, l’interrogation n’est plus pertinente dès lors que la chorégraphe présente ses créations, comme c’est le cas ces jours-ci au Pavillon Noir d’Angelin Preljocaj à Aix-en-Provence, à un public européen dont les attentes ne sont pas les mêmes que celles du public africain. À en croire l’applaudimètre, les Aixois étaient satisfaits de ce qu’ils venaient de voir mais pas au point de manifester un enthousiasme délirant. De voir et d’entendre car les trois musiciens qui accompagnent les danseurs apportent une contribution essentielle : un à la batterie, un autre aux tam-tams ou à d’autres instruments africains équivalents de nos contrebasse et banjo, un autre enfin à la flute africaine ou à la kora (quand il ne commande pas discrètement une boite à rythmes).
Si les deux danseuses à la silhouette plutôt menue se ressemblent physiquement, il n’en va pas de même des quatre danseurs qui diffèrent autant par la taille que par la corpulence. Cette diversité, qui n’est pas nécessairement présente dans la danse contemporaine (sans parler de la danse classique), ajoute une dimension de vérité à la pièce. D’autant que l’un des danseurs est handicapé (ce qui ne l’empêche pas de réaliser des prouesses). Ce groupe de danseurs restitue d’une certaine manière l’Afrique réelle, également présente grâce à la musique, à la gestuelle et aux illustrations visuelles apportées par les accessoires (un fauteuil semblable à un trône princier, une valise à roulette, des pneus usés, des bidons de pétrole). Les tableaux s’enchaînent rapidement. Toutes les combinaisons possibles (de un à six danseurs) sont exploitées comme il est de rigueur dans ce genre d’exercice. Cela étant – et ceci explique sans doute pourquoi les applaudissements auraient pu être encore plus chaleureux – si le réglage du ballet, la synchronisation des danseurs sont apparus satisfaisants, les figures restent dans l’ensemble assez élémentaires. On est emporté par la musique, séduit par l’énergie incontestable qui émane des danseurs, amusé par certains tableaux pleins d’humour, mais pas aussi émerveillé qu’on aurait pu l’être grâce à une chorégraphie plus savante (1).
En tournée au Pavillon Noir d’Aix-en-Provence du 1er au 3 octobre 2014.
(1) La Danseuse d’ébène – film de Seydou Boro consacré à Irène Tassembédo, depuis son entrée dans la première promotion de l’école Mudra Afrique à Dakar jusqu’à la création à son initiative du ballet national du Burkina Faso – fournit quelques aperçus d’autres ballets de la chorégraphe. Il en ressort une palette plus complexe que celle utilisée dans Le Manteau.