— Par Selim Lander —
Que peut-on bien faire avec des apprentis danseurs dont les âges s’échelonnent entre 12 et 18 ans ? Un spectacle de fin d’année qui récoltera les applaudissements plus ou moins enthousiastes des parents et des quelques amis rameutés pour la circonstance, voilà sans doute, en effet, à quoi il est prudent de s’attendre. Alors comment se fait-il que dans la bonne ville d’Aix, le « Grand théâtre de Provence » qui ne vole pas son nom avec ses 1400 places puisse faire le plein deux soirs de suite jusqu’aux balcons avec un spectacle proposé par les élèves d’une école de danse ? En l’occurrence le Groupe Grenade créé à Aix par Josette Baïz en 1992. Il rassemble actuellement une cinquantaine d’enfants et d’adolescents issus en majorité des « cités » et présente des spectacles qui circulent bien au-delà du berceau natal.
Ils sont quarante-deux à se produire dans Demain c’est loin, quarante-deux qui ont dû travailler très dur pour atteindre un niveau que des professionnels autoproclamés pourraient leur envier. Ils se partagent entre les trois pièces du programme, certains appelés à se produire dans deux d’entre elles, chacune faisant intervenir une vingtaine de danseurs. Deux ou trois peut-être paraissent moins dans l’énergie que réclament ces pièces mais la quasi-totalité fait preuve d’une technique et d’un engagement impressionnants. On admire la cohérence de chaque groupe, la coordination d’autant plus difficile à atteindre que les danseurs sont nombreux. Il y a assez peu de séquences mettant en valeur telle ou tel mais les danseurs concernés ne déçoivent pas. Nombreuses par contre les séquences où les groupes se disjoignent, ce qui réclame une coordination encore plus stricte.
La première pièce, How can we live together, de la chorégraphe australienne Lucy Guerin alterne les séquences où les danseurs se rejoignent avec des rapides moments de marche et ceux où ils se dispersent. Note d’humour, c’est le plus jeune danseur, un petit garçon, qui mène la troupe dans les mouvements groupés. La musique d’Alisdair Macindoe se prête bien à ces alternances entre le « je » et le « nous » conformes au titre de la pièce.
Après cette première séquence très dynamique, l’ambiance retombe un peu avec 25e Parallèle. Cette pièce de Josette Baïz avait pourtant remporté le 1er prix du Concours international de chorégraphie de Bagnolet en 1982. Sans doute le contraste avec la pièce précédente est-il trop grand. 25e Parallèle est une pièce moins exubérante et les combinaisons intégralement noires de la moitié des danseurs ne réchauffent pas l’atmosphère, pas plus que n’aide la musique de Luc Ferrari, surtout au début où elle semble se réduire à des sifflements.
Le spectacle se termine en apothéose avec un extrait de Room with a view. Cette pièce du collectif (La)Horde à la tête du Ballet national de Marseille est un exemple de ce que la chorégraphie contemporaine peut produire de plus original et de plus réussi. Influencée par le romancier dystopique Alain Damasio et faisant intervenir sur le plateau le DJ Rone, cette pièce mobilise dans un décor minéral, dix-huit danseurs constamment sur le plateau. On ne retrouve dans l’extrait donné à Aix ni le décor ni le DJ, mais sa musique est là qui entraîne autant les danseurs que les spectateurs et l’on retrouve avec un grand plaisir la chorégraphie inventive de la pièce comme ses morceaux acrobatiques.
Les spectateurs enthousiastes offriront aux jeunes danseurs à l’issue du spectacle une ovation bien méritée.
Demain c’est loin, Groupe Grenade – Josette Baïz, Grand Théâtre de Provence, Aix-en-Provence, 8 et 9 novembre 2022 (scolaire le 10 novembre).