Dans moins de vingt années la Martinique aura perdu près de 10 % de son territoire

Une proposition de loi signée, entre autres, par Marcellin Nadeau, soumise au vote ce jeudi

Le député (GDR) de Martinique, Marcellin Nadeau, et quelques autres(*) soumet ce jeudi au vote de ses collègues de l’Assemblée nationale une proposition de résolution « visant à adapter nos politiques publiques au changement climatique », notamment en ce qui concerne le recul du trait de côte.

Madinin’Art présente l’exposé des motifs et résume la proposition de loi.

Dans un article de mars 2022, Tahiti-infos rapporte les propos d’une habitante de Hao, un atoll des Tuamotu en Polynésie française : « J’habite en bord de mer, j’ai connu des montées de lagons, des fortes houles ou des vents forts, c’est normal une ou deux fois par an… Mais depuis quelques années, cela s’est accéléré, environ tous les deux mois, nous subissons une montée de la mer. Le sable de la plage n’a plus le temps de revenir, la mer envahit tout l’espace et creuse sous les racines des arbres ». Les effets des changements climatiques, notamment pour les villes côtières et insulaires, ne sont donc plus une fiction mais une réalité à traiter en urgence.

De même, dans un article du magazine GoodPlanet Mag du 26 juin 2022, Jean-Guy Gabriel, un pêcheur de la commune du Prêcheur en Martinique, déplore le recul moyen du trait de côte de 60 mètres en cinquante ans (parfois bien plus !) : « Peut-être qu’à la prochaine houle, ces gens-là seront obligés de quitter leur maison ». La Martinique pourrait perdre près de 10 % de son territoire d’ici vingt ans à cause de l’élévation du niveau de la mer et des ondes de tempêtes qui renforcent la pénétration de la mer à l’intérieur des terres. Le changement climatique intensifie également la fréquence et la simultanéité des risques.

Face à ces enjeux, un nouveau paradigme d’intervention publique est nécessaire.

Actuellement, l’adaptation au changement climatique, contrairement à la prévention des risques naturels, ne bénéficie pas d’un programme dédié dans le budget de l’État. Il est proposé de remédier à cette lacune au vu des évolutions climatiques actuelles, particulièrement sensibles dans les milieux insulaires et les villes côtières de la France continentale.

Certes, de nombreuses actions des programmes inscrits dans la loi de finances du budget de l’État contribuent indirectement à l’aménagement du territoire et à la préservation des espaces naturels, comme le fonds vert ou le plan France 2030.

Cependant, au-delà de ces actions ponctuelles, il est désormais crucial de prioriser la prise en compte et l’adaptation aux conséquences du changement climatique dans toutes les politiques publiques. Ainsi, il apparaît souhaitable de créer un cadre juridique national d’adaptation intégré dans les politiques publiques.

En effet, comme le démontre la question du recul du trait de côte, le changement climatique multiplie les risques. Il favorise l’apparition de risques multiples, aggravant les aléas naturels, technologiques, sociaux ou économiques.

Météo-France, dans le cadre du projet C3AF initié en 2016 par le Fonds européen de développement régional (FEDER), a montré que l’évolution des précipitations et la montée du niveau de la mer ont des conséquences sur la disponibilité en eau, la durée et l’intensité des sécheresses, l’agriculture, la stabilité des sols, les risques de submersion ou d’inondation, la dégradation accélérée des constructions et la destruction des littoraux.

En Polynésie, la montée des eaux et l’intensification des phénomènes climatiques extrêmes sont déjà une réalité, notamment pour les atolls bas des Tuamotu comme Hao, dont l’altitude maximale ne dépasse pas trois mètres.

Pour faire face à ces phénomènes, des abris temporaires en béton armé et deux portions de digues ont été construits. Certains habitants érigent leurs propres digues ou renforcent eux-mêmes le littoral.

Le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) qualifie ces installations de « solutions de court terme inadaptées », créant un faux sentiment de sécurité.

Une récente convention entre la commune de Hao et l’Office français de la biodiversité (OFB) prévoit un projet de restauration du littoral. Des plantes endémiques et protectrices seront plantées le long des digues et du littoral pour protéger l’atoll des vagues et limiter la pénétration de l’air salin qui perturbe la biodiversité intérieure.

En Martinique, l’expérimentation primée au niveau international de relocalisation urbaine et de « refondation utopique » de la commune du Prêcheur, encerclée par le volcan de la Montagne Pelée, les coulées de lahars et la submersion marine lors des ouragans et tempêtes, montre qu’il est possible de s’adapter intelligemment au changement climatique en redéfinissant nos politiques publiques et en mutualisant les moyens financiers.

Les changements climatiques auront également des effets sociaux et économiques. Par exemple, la perliculture, deuxième ressource économique de la Polynésie française, est menacée. L’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer (Ifremer) a démontré que l’augmentation de la température et de l’acidité de l’eau affecte les huîtres perlières. Un ralentissement ou un arrêt de la production de perles aurait de graves conséquences pour l’économie polynésienne.

De plus, les collectivités territoriales manquent souvent de ressources financières, techniques et humaines pour mettre en place des politiques d’adaptation efficaces au changement climatique. La création d’un fonds d’érosion côtière et la mutualisation des connaissances et de la gestion pourraient remédier à ce phénomène. L’an dernier, notre proposition d’amendement à la mission budgétaire Outre-mer a été votée par l’Assemblée nationale, mais la réécriture du texte suite au recours à l’article 49.3 de la Constitution a annulé cette mesure utile, soutenue par l’Association nationale des élus littoraux (ANEL).

Au niveau national, plusieurs initiatives de recherche fondamentale et appliquée ont émergé ces dernières années, notamment dans le cadre du programme prioritaire de recherche Irima pour « gestion intégrée des risques pour des sociétés plus résilientes à l’ère des changements globaux », piloté par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), le Centre national de la recherche scientifique (CNRS) et l’Université Grenoble Alpes. De même, l’Université de médecine de Créteil-Henri-Mondor a ouvert un département de recherche sur la résilience psychologique et médicale aux risques naturels. L’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris) a également recentré son implication sur les risques naturels, en se concentrant sur les risques « Natech » (naturels-technologiques) et leur lien avec le changement climatique, mettant en évidence l’aggravation des risques technologiques par des risques naturels comme les inondations.

L’adaptation aux effets des changements climatiques concerne de nombreux secteurs. L’absence de mutualisation de la gestion des risques accentue la multiplication des risques. Il est donc nécessaire de systématiser l’analyse des enjeux d’adaptation dans les projets et les planifications territoriales. Par exemple, le gouvernement a récemment intégré nos amendements visant à adapter la construction et la rénovation du patrimoine judiciaire et pénitentiaire aux spécificités climatiques des outre-mer (rapport annexé, projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027). La prise en compte des spécificités climatiques et des effets des changements climatiques devrait être systématisée dans les textes de loi.

Le manque de données scientifiques sur l’évolution du climat dans ces régions limite la conception de politiques publiques adaptées. Il est essentiel de collecter périodiquement des données climatiques (températures, vagues de chaleur, précipitations, événements climatiques) et de réaliser des simulations climatiques pour anticiper les évolutions futures du climat et leurs impacts économiques et sociaux. À cet égard, le dispositif climat du Pacifique, savoirs locaux et stratégies d’adaptation, piloté par l’Agence française de développement dans le Pacifique Sud, est un exemple pertinent. Ce projet couvre la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et le Vanuatu, et vise à développer des données scientifiques inédites sur le climat futur de cette région pour faciliter la formulation de stratégies d’adaptation.

En fin 2023, un accord historique a été conclu entre l’Australie et les îles Tuvalu pour définir le sort des Tuvalais dont l’archipel disparaît face à la montée des eaux. Les 11 000 Tuvalais, à raison de 280 par an, recevront un visa spécial pour vivre, étudier et travailler en Australie, accédant ainsi au système éducatif, à la santé et aux aides sociales australiennes. La France pourrait s’inspirer de cette démarche pour définir les mesures à adopter en cas de submersion d’une île ou d’une partie du territoire français. Qu’adviendra-t-il de ses habitants ? Recevront-ils des aides pour se relocaliser ?

Il est donc proposé une vision intégrée des différents risques sur un même territoire et une vision de long terme avec une politique publique incluant pleinement les collectivités territoriales, en commençant par la question spécifique du recul du trait de côte.

La question du recul du trait de côte est symptomatique. Si les projections de montée du niveau de la mer comportent des incertitudes et des variations globales, ce phénomène est irréversible et se poursuivra sur les siècles et millénaires à venir.

Partout dans le monde, les villes côtières et insulaires, en première ligne face aux vagues croissantes, recherchent des solutions d’adaptation.

Face à ce constat, il est urgent de soutenir les villes côtières et insulaires menacées par la montée du niveau marin en facilitant la conception et la mise en œuvre de stratégies d’adaptation

(*)

M. Marcellin NADEAU, Mme Mereana REID ARBELOT, Mme Soumya BOUROUAHA, M. Jean-Victor CASTOR, M. Steve CHAILLOUX, M. André CHASSAIGNE, M. Pierre DHARRÉVILLE, Mme Elsa FAUCILLON, M. Sébastien JUMEL, Mme Emeline K/BIDI, M. Tematai LE GAYIC, Mme Karine LEBON, M. Jean-Paul LECOQ, M. Frédéric MAILLOT, M. Yannick MONNET, M. Stéphane PEU, M. Davy RIMANE, M. Fabien ROUSSEL, M. Nicolas SANSU, M. Jean-Marc TELLIER, M. Jiovanny WILLIAM, M. Hubert WULFRANC, députées et députés.

Objectifs de la proposition de loi

  1. Établir un cadre juridique national pour l’adaptation aux changements climatiques :

    • Créer des politiques publiques qui intègrent systématiquement l’adaptation aux changements climatiques.
    • Mettre en place des mesures spécifiques pour les territoires insulaires et côtiers de France, particulièrement dans les outre-mer.
  2. Renforcer la prévention et l’adaptation :
    • Soutenir financièrement et techniquement les collectivités territoriales dans leurs efforts d’adaptation.
    • Développer des projets de restauration et de protection du littoral, comme la plantation de végétation protectrice à Hao, en Polynésie française.
  3. Faciliter la collecte et l’analyse des données climatiques :
    • Procéder à une collecte périodique de données climatiques (températures, précipitations, vagues de chaleur).
    • Réaliser des simulations climatiques pour anticiper les évolutions futures et leurs impacts.
  4. Créer un fonds d’érosion côtière :
    • Mutualiser les connaissances et la gestion des risques pour soutenir les efforts locaux d’adaptation.
    • Faciliter l’accès à des ressources financières pour les collectivités territoriales.
  5. Encourager la recherche et le développement :
    • Soutenir des initiatives de recherche fondamentale et appliquée sur les impacts des changements climatiques et les stratégies d’adaptation.
    • Intégrer des programmes de résilience, comme celui initié par l’Université de Créteil-Henri-Mondor et l’Institut national de l’environnement industriel et des risques (Ineris).
  6. Promouvoir la relocalisation adaptative :
    • Encourager des projets de relocalisation urbaine comme celui de la commune du Prêcheur en Martinique.
    • S’inspirer d’initiatives internationales, telles que l’accord entre l’Australie et les îles Tuvalu, pour fixer des mesures en cas de submersion de territoires français.

Mesures Spécifiques Proposées

  1. Établissement d’un programme de budget spécifique :
    • Inclure dans le budget de l’État un programme dédié à l’adaptation au changement climatique, en complément des fonds existants comme le Fonds Vert et le plan France 2030.
  2. Projets pilotes et partenariats :
    • Développer et financer des projets pilotes de restauration écologique du littoral.
    • Renforcer les partenariats avec des organismes internationaux pour bénéficier de leurs expertises et retours d’expérience.
  3. Formation et sensibilisation :
    • Mettre en place des programmes de formation pour les élus et les techniciens des collectivités territoriales sur les stratégies d’adaptation.
    • Sensibiliser les populations locales aux risques climatiques et aux mesures d’adaptation possibles.
  4. Amélioration de la résilience économique :
    • Soutenir les secteurs économiques vulnérables, comme la perliculture en Polynésie française, face aux impacts climatiques.
    • Promouvoir des initiatives de diversification économique pour réduire la dépendance des communautés à des ressources affectées par le climat.

Conclusion

Face à l’urgence climatique, cette proposition de loi vise à établir une réponse coordonnée, intégrée et durable aux défis posés par le changement climatique pour les territoires côtiers et insulaires. En dotant la France d’un cadre juridique robuste et d’une politique publique cohérente, nous pouvons mieux protéger nos communautés et leur environnement, tout en assurant un développement résilient et soutenable pour les générations futures.