— Par Lucie Delaporte —
Bordeaux, La Rochelle et Le Havre ont, dans le sillage de Nantes, tiré leurs richesses du commerce triangulaire. Dans ces villes, ce passé reste encore largement occulté et les élus comme la plupart des candidats aux municipales semblent peu enclins à raviver cette douloureuse mémoire.
Malgré les bourrasques de vents contre lesquelles l’architecture d’Auguste Perret n’offre que peu d’abris, une vingtaine de personnes se sont réunies devant l’hôtel de ville du Havre pour écouter cet après-midi-là Karfa Diallo.
« Nous sommes ici, devant ce lieu symbolique à la veille des élections municipales, parce que nous pensons que c’est un moment important pour faire prendre conscience aux élus d’événements qu’ils ignorent souvent », commence l’intellectuel franco-sénégalais, qui rappelle que Le Havre a été l’un des principaux ports négriers de France. Ce qu’ici, hormis une petite plaque commémorative sur l’esplanade Guynemer, rien ne vient rappeler.
Organisée par l’association Mémoires et partages, qu’il a fondée, la visite emmène ce jour-là dans différents endroits emblématiques du commerce triangulaire auquel s’est livrée la ville entre le XVIIe et le XIXe siècle. Un pan de l’histoire du Havre que beaucoup d’habitants méconnaissent.
Pour ces élections municipales, l’association a interpellé tous les candidats déclarés à Bordeaux, La Rochelle et Le Havre – les trois principaux ports négriers après Nantes – pour leur demander ce qu’ils comptaient faire pour mettre enfin un terme au refoulement de ce douloureux passé.
Car si Nantes, de loin le premier port ayant vécu du commerce triangulaire, a sous l’impulsion de Jean-Marc Ayrault commencé un travail mémoriel depuis presque vingt ans (lire ici notre article), dans les autres grands ports négriers, la quasi-absence de toute politique sur le sujet reste criante.
Au Havre, aucun mémorial, aucun musée ne rappelle que partirent d’ici plus de 500 bateaux destinés à la traite et que près de 90 000 esclaves ont été déportés par des bateaux havrais entre 1679 et 1791, ni que Le Havre s’est ensuite enrichi par la traite illégale qui s’est poursuivie bien après l’abolition de l’esclavage en 1848.
La destruction presque totale de la ville en 1944 a fait disparaître Le Havre du XVIIIe siècle et la plupart des traces de la richesse des négociants de la ville. Et c’est peu dire que la classe politique locale ne s’est pas précipitée pour remémorer ce passé honteux.
La « Maison de l’armateur » – un hôtel particulier habité par le négociant et armateur enrichi par le commerce triangulaire Martin-Pierre Foäche (1728-1816) – est ainsi le seul musée à aborder, en passant, le commerce triangulaire dans une petite salle. Pour le reste, le musée est consacré au mobilier et à l’architecture.
« C’est un musée à la gloire du bon goût de l’armateur ! » s’indigne Karfa Diallo. « Imagine-t-on raconter la Shoah dans la maison d’un nazi ? », renchérit Patrick Serres, le président de l’association Mémoires et partages….
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