— Par Véronique Mortaigne —
Cesaria Evora, sempre viva, toujours vivante. Repartie vers la terre mère le 17 décembre 2011, vaincue par le diabète et le coeur encombré. Mae Carinhosa, la mère affectueuse, onzième album studio de « Cize », sort pourtant le 4 mars. Il comporte 13 titres inédits enregistrés entre 1997 et 2005 à l’occasion de sessions d’enregistrement au cours desquelles la chanteuse cap-verdienne avait accumulé les chansons comme autant d’oeufs dans son panier. En maîtresse de maison avertie, elle y puisait à sa guise afin de réussir une omelette de qualité. Ceux qui n’étaient pas dans l’ambiance du moment attendaient leur heure, au salon des refusés.
« Non pas que ces chansons soient de qualité inférieure », précise José da Silva, son manager, producteur, homme de confiance, qui s’est chargé de prolonger la vie et l’oeuvre de cette femme hors pair, mettant les mains dans le cambouis pour réunir les vies de la dame de Mindelo – celle d’avant sa naissance à l’industrie du disque mondiale en 1988 avec l’album Mar Azul, et celle de l’outre-tombe, avec « ces matériaux dont elle connaissait l’existence et qu’elle a laissés en silence comme un héritage pour ses enfants ».
Elle était encore bien vivante lorsqu’est publié, en 2008, Radio Mindelo sur Lusafrica, le label que l’ancien cheminot a fondé après sa rencontre avec Cesaria Evora dans un restaurant capverdien de Lisbonne, où la catchupa, le cassoulet de l’archipel à base de maïs, tenait marmite. Radio Mindelo présentait une série d’enregistrements effectués par la radio de l’île de Sao Vicente dans les années 1960. Cesaria vient d’avoir 20 ans, elle a la voix frêle. Pour son public qui la suit à travers le monde avec une intense fidélité, c’est une découverte : de 1975 à 1985, elle s’était tue, partie aux confins de la folie, minée par la pauvreté et la non-reconnaissance d’une nation enfin indépendante, mais voyant dans la morna dont elle est la reine une forme aliénante et passéiste, à l’instar du fado au Portugal.
Ce qui apparaissait très clairement dans Radio Mindelo, c’était l’immense talent que, dès sa jeunesse, Cesaria Evora avait déployé dans le choix de son répertoire, opérant une sélection drastique de ses auteurs-compositeurs, panachant les mornas nostalgiques, les coladeras enlevées, un peu de mambo cubain par-ci, un peu de samba brésilienne par-là. Avec Cesaria, le port de Mindelo récupérait sa position géostratégique sur la route des Afriques et des Amériques, et ce depuis 1960, en pleine période salazariste. Disparue, la voici qui refait, malicieuse, sa cuisine, avec José da Silva dans le rôle de premier commis – José da Silva n’a jamais cherché à être cacique à la place du cacique, et ce respect lui a valu un long compagnonnage avec sa diva aux pieds nus qui lui rappelait sa grand-mère de Mindelo.
Mae Carinhosa, de l’auteur-compositeur Teofilo Chantre, qui vit à Paris, s’adresse à la mère de Cesaria, une ex-cuisinière au service des colons portugais, et que Cesaria adorait. « Cesaria enregistrait beaucoup de Teofilo, beaucoup de B. Leza, nous en avions un stock. Il y avait toujours plus de titres que ne pouvait en contenir l’album. Elle sélectionnait d’abord ses auteurs préférés. Elle ne prenait que ceux qu’elle aimait vraiment. Elle cherchait ensuite un équilibre entre auteurs récents et anciens, puis entre mornas et coladeras. Cela servait aussi pour les Japonais, qui ont toujours voulu deux ou trois chansons en plus sur les albums qui sortaient chez eux, ou bien pour des projets humanitaires ou collectifs. » Les cartes étaient ensuite redistribuées
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Mae Carinhosa. 1 CD Lusafrica/Sony Music.