« Sans projet politique, on ira de coup d’éclat en coup d’éclat »
Partout où il y a de l’injustice, il y aura des réactions. Éliminons l’injustice et il y a aura un peu moins de remous. Notre pays est jeune et il se construit.
Cette colère et cette impatience sont enracinées dans notre réalité mais on les voit aussi dans plein d’endroits où le peuple réclame autre chose. Je dois reconnaître que c’est une bonne décision de ne pas avoir envoyé les forces du désordre hier matin (dimanche 26 juillet 2020).
Ce n’est pas la première fois que des statues tombent. Plusieurs peuples dans le monde en ont fait tomber plusieurs à plusieurs époques de leur histoire. Ce ne sont pas les Martiniquais, les Guadeloupéens ou les Guyanais qui sont plus indisciplinés que les autres. J’en parlais avec une amie et ce qui s’est passé me rappelle une expression : « Power to the people ». Je rappelle que les statues ne sont pas l’histoire. Elles sont des choix politiques, idéologiques à des moments précis. Les faits, mêmes les plus dérangeants, demeurent avec ou sans les statues. Tant que les livres et les archives en parlent, les faits seront têtus, que cela nous plaise ou pas.
Un héros ou une héroïne, c’est quelqu’un qui est célébré pour ses exploits, pour son courage et la noblesse de ses idéaux. Avons-nous le droit de choisir les nôtres ? OUI ! Sommes nous révisionnistes pour autant ? NON ! A ceux qui ne voient dans la destruction des statues que de la violence, an ka di yo « Pa pè ! », c’est impressionnant mais les statues ne ressentent rien. Par contre, les hommes et les femmes malmenés par ce qui se passe au pays, oui. Quant aux « pro-RVN » qui répondent à la contradiction par des injures ou des tentatives d’humiliation, d’intimidation, vous desservez les idées que vous défendez. Le mépris n’a jamais converti quelqu’un aux positions de celui qui le méprise. Jamais.
Le nouvel ultimatum lancé pour dimanche prochain me gêne. Je ne peux m’empêcher de me demander quel sera le prochain, et vers où cette façon de faire nous mène. Dire que c’est bien ou mal ne sera pas suffisant. Être pour ou contre ne sera pas suffisant. Rester derrière son écran non plus. Chaque période a ses remous et c’est à nous de les transformer en énergie pour construire. Je n’ai pas honte de dire que j’ai parfois des doutes, des craintes, des incompréhensions, des choses qui parasitent mon analyse. Je n’ai pas honte de dire que je ne suis pas toujours sûr de tout à 100%.
Mon étoile polaire, c’est l’émancipation de nos gens donc j’irai là où je sens cette énergie pour peser sur la situation, pour voir, pour débattre, pour entendre, pour construire. Taper sur un clavier permet de dire ce qu’on pense mais pour influer sur certaines choses à la racine, il faut aller au contact des hommes et des femmes. Pas avec des idées toutes faites ni avec l’intention de convertir les gens à ce que vous pensez, mais avec l’idée de mieux comprendre, de tisser des liens humains. Le droit d’être entendu se mérite.
Les statues sont des symboles donc nous devons aussi réfléchir à comment faire tomber les structures de la domination, comment décoloniser notre économie, nos contenus académiques autant que l’espace public. Les structures économiques, financières, institutionnelles qui nous empêchent de mieux exploiter notre potentiel doivent être remplacées par des structures plus « empouvoirantes ». D’ailleurs, ceux qui les contrôlent et qui en tirent des bénéfices doivent se rendre compte qu’ils pourront un jour être dans le viseur de cette colère populaire. J’espère que les forces de l’immobilisme, les gens qui vivent ici et qui cultivent un esprit « anti-nègre » en prennent de la graine !
Faire tomber des statues est une affirmation politique. La grande question derrière ces remous au pays me semble aussi éminemment politique et il nous faudra la poser ! C’est plus que de l’aménagement du territoire, plus qu’un travail autour de la mémoire et de l’histoire mais c’est une question concernant notre réalité politique, notre aujourd’hui et notre demain politique. Jusqu’où devront aller la Martinique et la Guadeloupe pour faire tomber les vieilles dominations encore en place ? Pour apaiser ce malaise identitaire ? Quelle est la vision des militant.e.s sur ces questions ? Nous devons en parler car sans projet politique, on n’aura pas de boussole et on ira de coup d’éclat en coup d’éclat.
J’en profite pour dire que si les personnels des urgences du CHUM disent qu’ils ont été choqués, qu’ils se sont sentis menacés par ce qui s’est passé le 20 juillet lors de l’accueil de Keziah, il nous faut entendre cela aussi gênant que cela puisse être. La dernière chose qu’on devrait laisser cette situation faire, c’est nous diviser et nous faire manquer d’humanité.
Enfin, nous avons tous le devoir de nous éduquer sur ces questions pour ne pas être esclave de nos émotions, de quelques vidéos, esclave du sensationnel et des opinions des autres. Cela prend du temps dans un monde fanatique de l’immédiat mais c’est le prix à payer pour aiguiser notre jugement critique et mieux porter notre part de progrès. Péyi-la bizwen tout pitit’ay…
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