— Par Roland Tell —
Les politiques sont exposés à subir la division des partis existants, dont les symptômes caractérisent aujourd’hui l’Etat Français. L’impuissance à engendrer un consensus à propos des « Gilets Jaunes », après les entretiens de Matignon, n’est-ce pas déjà un symptôme inquiétant ? En effet, il n’a pas été possible de sauvegarder l’essentiel, à savoir les lois qui font vivre la démocratie. Au lieu de cela, chaque dirigeant s’est empressé d’insister sur ce qui fait plutôt l’académisme de ses idées, et donc de souligner les différences.
Ici, on fait appel à un quelconque référendum, là on prône la refonte du système, en s’accrochant furieusement à la fonction du dialogue, en dépit de l’absence de tout consentement préalable de la part des « Gilets Jaunes ». Les politiciens en cause sont toujours tentés de préférer la route, exigeante et solitaire, des divisions, donc la route vers l’inconnu, à travers les manifestations destructrices des « Gilets Jaunes ». N’est-ce pas que les politiques sont toujours tentés de préférer leur propre développement, avec les perspectives de pouvoir qui s’y trouvent impliquées ? Ainsi, chaque parti est un univers en lui-même, où se déploient des chefs, des agents, des passions, des destinées, où l’ambition est si puissante, et qui, comme le feu des incendies provoqués récemment par les « Gilets Jaunes », les porte à l’état de fusion, comme exemplaires de ministres sur papier imprimé du Journal Officiel. De telles obsessions constituent la cause même du désordre politique de la France actuelle.
Etant donné la misère de la condition politique, les désordres des « Gilets Jaunes » apparaissent comme la rançon payée à la faiblesse du système politicien, et des syndicats, qui ont ainsi perdu toute emprise sur la vie citoyenne, aujourd’hui ligotée, délestée du réel, car vivant désormais au rythme des désordres et des samedis parisiens des « Gilets Jaunes ». Quant aux gouvernants, à l’Élysée et à Matignon, ils sont dans un état d’énergie dormante, toutes forces d’éveil retirées, attendant le prochain samedi noir de la Bastille. Rien ne paraît plus naturel que cela, plus nécessaire aussi, aux gouvernants d’aujourd’hui ! Aucune inspiration, aucun travail d’intervention à développer, sinon l’attente du prochain samedi, se chargeant seule de la suite à donner au mouvement ! Renoncement à agir avec lucidité, et selon un choix de mesures adéquates, pour faire l’oeuvre attendue du Pouvoir ! Certes, celui-ci est là, mais il est gêné aux entournures, tel un CRS gêné par son armure. D’où l’espèce de malaise, ressentie actuellement par la majorité silencieuse des Français. Est-ce raison ou calcul ? Le politique joue-t-il à être bête ? Va-t-il continuer longtemps à se nourrir de l’air des Champs-Elysées en flammes ? Quand retrouvera-t-il les grâces soudaines de l’état de pouvoir ?
Toute la longue patience du peuple français, exténué par l’usage quotidien des manifestations sur les routes, autoroutes, gares, supermarchés – manifestations faites d’heures immobiles, cousues l’une à l’autre, depuis plusieurs semaines – toute cette patience de tensions et de pressions commence à donner ses derniers accords, ses dernières disciplines, dans des désirs refoulés de « ras-le-bol », puisque c’est au citoyen ordinaire qu’on fait porter tout le poids d’une affaire politique, dont le pouvoir porte l’entière responsabilité. Que cherche donc ce pouvoir ? Travaille-t-il secrètement dans les sous-sols de la manipulation et de l’imposture, pour envenimer la situation, par nécessité démagogique, jusqu’à l’effondrement des puissantes barrières démocratiques, jusqu’aux toutes dernières extrémités de l’insurrection ? Ne commence-t-on pas à parler, ici ou là, d’état d’urgence ?
La politique suprême, ici, consisterait-elle à laisser faire, même samedi prochain à Paris, pour enfin parvenir à s’élever jusqu’à l’état d’urgence ? Ce que fait le Pouvoir, consciemment et délibérément, c’est une concentration d’un plus grand nombre de manifestations désastreuses, pour que l’état d’urgence fasse irruption soudain, tel un vent de tempête, fort et contraignant, pour aider à réconcilier les réalités en conflit. En ces temps écologiques, la politique requiert-elle que le Pouvoir ait un heureux don du climat ?
ROLAND TELL