Fatima Ouassak est politologue, cofondatrice et porte-parole de Front de Mères, premier syndicat de parents d’élèves des quartiers populaires. Elle préside également le réseau Classe/Genre/Race, qui lutte contre les discriminations subies par les femmes descendantes de l’immigration postcoloniale. Dans son livre « La puissance des mères », à paraître le 27 août 2020, elle invite les mères « à se muer en sujets politiques ».
Connaître Fatima Ouassak par ses propres mots : ci-dessous un court extrait d’interview :
« Je suis née au Maroc puis j’ai grandi à Lille Sud, l’un des quartiers les plus populaires de la ville, dans une cité autour d’une usine. Mon père est arrivé le premier en France, comme beaucoup d’immigrés. Il a travaillé dans une usine de métallurgie. Ensuite, dans les années 1970, il a fait venir sa famille dans le cadre du regroupement familial. J’étais petite, j’ai grandi dans cette cité ouvrière où vivaient beaucoup de Marocains, notamment de notre région du Rif.
Était-ce une enfance heureuse ?
Oui, très. Même si j’ai vraiment grandi dans le béton. D’ailleurs j’ai toujours vécu dans le béton, plutôt dans les quartiers populaires avec des barres. Mais on était bien, on vivait pour l’essentiel dehors. Dès 4, 5, 6 ans on descendait jouer avec les autres. Il y avait un contrôle social du quartier qui faisait qu’on pouvait jouer en toute sécurité ! Je le dis parce qu’aujourd’hui ce n’est plus le cas. Et puis j’adorais aller à l’école ».
Présentation, par l’éditeur, de son premier livre, « La puissance des mères » :
Depuis la naissance de la Ve République, l’État français mène une guerre larvée contre une partie de sa population. Les jeunes des quartiers populaires descendants de l’immigration postcoloniale subissent une opération, quotidiennement répétée, de « désenfantisation » : ils ne sont pas traités comme des enfants mais comme des menaces pour la survie du système. Combien d’entre eux sont morts à cause de cette désenfantisation ? Combien ont été tués par la police en toute impunité ? Combien de mères ont pleuré leurs enfants victimes de crimes racistes devant les tribunaux ?
En s’appuyant sur les luttes menées par les « Folles de la place Vendôme », dans les années 1980, comme sur les combats du « Front de mères » aujourd’hui, Fatima Ouassak montre, dans ce livre combatif et plein d’espoir, le potentiel politique stratégique des mères. En se solidarisant systématiquement avec leurs enfants, en refusant de jouer un rôle de tampon entre eux et la violence des institutions, bref, en cessant d’être une force d’apaisement social et des relais du système inégalitaire, elles se feront à leur tour menaces pour l’ordre établi.
Ce livre a l’ambition de proposer une alternative politique portée par les mères, autour d’une parentalité en rupture alliant réussite scolaire et dignité, et d’un projet écologiste de reconquête territoriale. Son message est proprement révolutionnaire : en brisant le pacte social de tempérance qui les lie malgré elles au système oppressif, les mères se mueront en dragons.
Le journal « Les Inrocks » a sélectionné le livre parmi « les 15 essais pour sauver le monde »
— par Irène Ahmadi, le 24/08/20 —
Le combat des mères serait-il le grand oublié des luttes féministes ? C’est en tout cas ce qu’affirme la politologue Fatima Ouassak qui qualifie leur bataille d’angle mort du féminisme. Dans son premier essai féministe et combatif, l’autrice appelle les mères, figure selon elle « souvent boudée par les féministes et longtemps figée dans la représentation aliénante de la maternité », à se réapproprier leur pouvoir. En proposant à ces femmes de rompre avec tout ce qui est attendu d’elles, cette dernière porte l’espoir de voir émerger un nouveau projet politique « qui nous permettra de briser les systèmes d’oppression pour bâtir un autre monde ».
Pour expliciter son propos, Fatima Ouassak part d’abord de son expérience personnelle, celle d’une mère militante à Bagnolet, en Seine-Saint-Denis. En décrivant les doutes, les peurs mais aussi les joies et l’espoir qui l’animent en tant que mère, exemples du quotidien à l’appui, elle parvient à retranscrire avec justesse les inégalités sociales dont les enfants issus des quartiers populaires sont victimes. « La présence policière dans les quartiers populaires et le lot de violences qui l’accompagne (…) ont pour fonction d’assigner à résidence des enfants à qui on ne reproche rien d’autre que d’exister », écrit-elle.
« Les luttes des mères sont des luttes féministes, aussi »
Au-delà de son vécu, Fatima Ouassak s’appuie également sur des faits marquants et notamment les histoires de Fatima Bedar ou Malika Yazid, deux enfants victimes de racisme. Des éléments qui, combinés à son récit personnel, font de« La puissance des mères », une œuvre complète.
Son essai a aussi pour ambition d’inciter les mères à se défaire des stéréotypes sociétaux liés à la maternité. Des clichés qui, selon l’autrice, les priveraient de toute forme de pouvoir ou d’émancipation. Si elle déplore l’invisibilisation des luttes des mères dans les mouvements féministes, la politologue en est convaincue : « Le féminisme pourrait être pour les mères un puissant outil d’émancipation et de libération ». Pour elle, il s’agit de « redonner de la valeur sociale, symbolique et politique à ce que les mères sont et font déjà. Et de conquérir le pouvoir politique que les mères n’ont pas ». En citant les deux pans majeurs des combats des mères, à savoir refuser l’injonction à être mère d’un côté et se battre en tant que mère de l’autre, elle démontre en quoi les luttes des mères sont aussi des luttes féministes.
Dès lors, imaginer un projet politique dans lequel « les mères constitueraient un véritable levier révolutionnaire, projet décliné en stratégies, modalités d’action et perspectives politiques », devient possible. Mais derrière l’idée de reprise du pouvoir, se devine la nécessité, pour elles, de reconquérir le territoire, « en luttant collectivement et concrètement là où nous sommes, là où nous vivons, sur nos territoires, dans nos quartiers ».
Ainsi, « La puissance des mères » se lit comme « une montée en puissance, et non une assignation », un message d’espoir et la reconnaissance des mères comme d’un sujet politique majeur.
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« Nous avons crée le Front de Mères, premier syndicat de parents des quartiers populaires. Nous l’avons crée parce que nous aimons nos enfants, parce que nous voulons mettre hors d’état de nuire le système raciste qui les détruit, parce que nous voulons leur transmettre tout ce qui pourra les rendre plus forts, à commencer par notre dignité, parce que nous voulons les éduquer à travers des valeurs d’égalité, de justice et de bienveillance, et parce que nous savons que sans lutte politique et collective, ce combat-là est vain. Notre projet s’inscrit dans une démarche d’éducation populaire, nous travaillons sur des projets concrets et locaux, sur du long terme, dans une perspective positive et constructive, et sur tout ce qui concerne l’éducation de nos enfants. »
La puissance des mères / Pour un nouveau sujet révolutionnaire, de Fatima Ouassak, éd. La Découverte, 272p., 14€
Fort-de-France, le 27 août 2020