Daniely Francisque, auteure, metteure en scène, comédienne, danseuse… :
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Daniely Francisque, portrait (photo : Carlotta Forsberg) |
Engagée! Dans toutes les acceptions les plus nobles du terme. D’abord dans son métier dont elle explore systématiquement, avec méthode et détermination toutes les palettes, ensuite dans chaque le mode d’expression retenu, sur scène elle impose avec force une présence dont l’évidence n’est pas à questionner. Les arts de la scène sont pour elle les espaces d’une construction identitaire, artistique et culturelle, qu’elle s’approprie avec un professionnalisme, pas si courant en Martinique. Elle a voulu maîtriser les modalités de l’interview qu’elle nous à accordé et qu’elle considère comme une des dimensions de son métier. Quand elle est interrogée sur son intérêt ou son désintérêt pour ce que tout un chacun connait comme les « auteurs du répertoire », à savoir les Tchékhov, Shakespeare, Brecht, Molière, etc. elle fait semblant de ne pas comprendre la question, quand celle-ci se précise elle cite des auteurs contemporains dont la plupart ont une aura limitée, il faut bien le constater, au champ culturel caribéen. Comme si la recherche identitaire qui la porte était confondue, absorbée par une recherche illusoire des racines ou la quête mythique des origines ( cf. article de Jean-Bertrand Pontalis ). C’est le danger qui la guette que de se laisser absorber par le tropisme de l’insularité. Foi de néophyte d’une martiniquaise néo-implantée? Nostalgie d’un retour vers un ailleurs qui n’a pas été et qui n’en est que plus désirable? Le balancier d’avoir été trop retenu de l’autre côté de l’Atlantique n’en revient-il qu’avec plus de force de ce côté ci? C’est évidemment dans son aptitude à gérer la multiplicité de ses formations culturelles, sans en mutiler aucune, qu’elle tirera la force, l’originalité et l’intérêt pour un public de faire carrière. Encore une fois le précepte d’Edouard Glissant la concerne au premier chef : « Agis dans ton lieu, mais pense avec le monde« . On découvrira dans l’entretien ci-après une jeune femme dont l’étendue des talents n’a d’égale que la solidité et la résolution avec lesquelles elle souhaite les faire vivre et qui donc ne manque pas de s’interroger sur la politique culturelle en œuvre, ici dans son pays. A suivre.
Propos recueillis par Roland Sabra
>> Qui êtes vous Daniely Francisque ?
Je suis une jeune comédienne de 35 ans. Née en Martinique, j’ai grandi en région parisienne, où j’ai fait toute ma scolarité. J’ai obtenu en 1998 une maîtrise de Conception et Mise en œuvre de projets culturels à l’université de Jussieu à Paris. La Martinique n’a jamais cessé de battre en moi, comme un appel lancinant. Je suis revenue m’y installer en 2006. Mon retour au pays natal.
>> Comment êtes vous venue au théâtre ?
Je dirais que c’est le théâtre qui s’est présenté à moi. Devenir comédienne n’était ni une vocation, ni un rêve de petite fille. Le théâtre s’est révélé à moi au moment où je me posais des questions existentielles : Qui suis-je ? D’où viens-je ? Quelles sont mes origines ? Il m’a permis d’y répondre, en partie ! Ma découverte du théâtre était comme une renaissance, l’ouverture d’un chemin initiatique passionnant à travers mon histoire personnelle et plus largement l’histoire de mon peuple, et plus largement encore l’histoire de l’homme. Cela m’a permis de poser un pied dans ce monde et d’y trouver ma place.
J’ai fait mes premiers pas au théâtre en 1994 avec la pièce « Nèg pa ka mò« que j’ai écrite et qui a été mise en scène par Luc Saint-Eloy à l’époque. Une fois que j’avais goûté à la scène, je n’ai plus voulu la quitter ! Elle m’a donné le plaisir de jouer, de me dépasser, de me surprendre, de me découvrir et de le partager avec le public.
>> Votre parcours, avec qui avez-vous travaillé ?
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Tournage « La Noiraude » film de Fabienne et Véronique Kanor (2004) |
C’est entre les mains de Luc Saint-Eloy que j’ai pris naissance en tant que comédienne. J’ai suivi ses cours de 1994 à 2001 à l’atelier d’art dramatique du Théâtre de l’Air Nouveau et participé aux créations de sa compagnie, notamment : « Bwa Brilé, hommage à Eugène Mona » (1996), « Les Enfants de la Mémoire » (1998-2002), « Grand-mère où commence la route de l’esclave ? » (1999), « Les Migans poétiques » (1999-2002), « Combat de Femmes » (2005).
Au théâtre, j’ai aussi travaillé avec Benjamin Jules-Rosette (« Les Enfants De Zombi », 1996), José Exélis (« Africa Solo » 2006), Hélène Zidi-Chéruy (« Le Tigre », 2005), Lucette Salibur (« La Ka Èspéré Godo » 2006 – « Zandoline », « Le Collier d’Hélène », 2007), Hervé Deluge (« Molière Folie’s », 2007).
Mon parcours pluridisciplinaire toujours allié à une quête identitaire, esthétique et vibratoire afro-caribéenne, m’a également amenée à participer à des créations chorégraphiques et musicales auprès de chorégraphes tels que Erol Josué (Haïti), Max Diakok (Guadeloupe), Norma Claire (Guyane), Chrysogone Diangouaya (Congo) et plus récemment avec José Chalons (Martinique), dans son spectacle « Attentes » où j’ai découvert l’univers de la danse Afro-Butoh.
Le théâtre, la danse, le chant m’ont toujours accompagnée. Ils sont pour moi autant de vecteurs d’expression. Il y a une continuité et une complémentarité entre toutes ces disciplines, et parfois même, le chant ou la danse peuvent mieux traduire une émotion que le jeu, les mots au théâtre. Je considère la comédienne que je suis comme un instrument à plusieurs cordes.
De 2002 à 2005, j’ai intégré le Laboratoire de l’Acteur dirigé par Hélène Zidi-Chéruy, ancienne directrice de casting, reconvertie dans le coaching d’acteurs. Sa méthode, basée sur l’école de Stanislavki et l’Actor’s Studio, m’a permis d’aborder différemment mon métier de comédienne et d’expérimenter une autre facette du métier, axée sur le jeu cinématographique. La caméra et son oeil chirurgical, y était un support pédagogique privilégié. Il s’agissait d’apprivoiser mon image, donc de m’apprivoiser moi-même, de révéler même de nouvelles facettes de ma personnalité et d’enrichir ainsi mon « instrument » et ma palette de jeu.
Je me suis dès lors dirigée vers la voie du grand et du petit écran : « La Noiraude » avec les sœurs Kanor (Prix d’interprétation aux Rencontres Cinématographiques de la Martinique en 2006), « Tropiques Amers » série télévisée de Jean-Claude Flamand Barny, « Paris je t’aime » de Gurinder Chadha, réalisatrice de « Coup de Foudre à Bollywood », « L’apprentie » court-métrage de Foued Mansour & Luc St-Eloy et plus récemment en Martinique « J’ai cessé de battre ma femme » court-métrage de Claude Rosalie ou le spot de prévention « N’y pense même pas » de Manu Coeman.
>> Dans votre parcours on retrouve souvent le nom de Lucette Salibur. A quoi tient cette fidélité ?
Au théâtre bien souvent, on fonctionne « en famille ». Dans ce métier où l’on est toujours « en drive » d’une création à l’autre, l’on a besoin de s’enraciner quelque part. En France, ma famille artistique est celle du Théâtre de l’Air Nouveau de Luc Saint-Eloy, en Martinique, je me suis ancrée au Théâtre du Flamboyant de Lucette Salibur. Lucette et moi partageons aussi une même vision du métier, nous avons une sensibilité très proche. Je respecte beaucoup cette femme de théâtre issue de l’école du Sermac et qui a marqué le théâtre martiniquais de son talent depuis presque 30 ans.
>> Quelle a été la genèse de Neg Pa Ka Mo ? Est-votre première mise-en scène?
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Spectacle danse vodou « Konfésyon Madjawé », Chorégraphie Erol Josué, Cie Shango (2000) |
C’était en 1994, j’étais étudiante en langues étrangères et je suivais des cours de civilisation latino-américaine avec un professeur chilien, ancien prisonnier politique, dont c’était la dernière année d’enseignement avant sa retraite. Il nous parlait passionnément du génocide amérindien dû à la « découverte » des Amériques par Christophe Colomb et de toutes ses conséquences. Il m’a apporté une autre vision de l’histoire. Parmi nos travaux nous devions rendre un dossier sur un des pays de l’Amérique du sud. J’ai choisi Haïti, dans la Caraïbe. C’est ainsi qu’en me plongeant dans l’histoire d’Haïti, j’ai découvert « par ricochet » l’histoire de la Martinique, des Antilles, et du crime originel de l’esclavage qui a donné naissance à nos sociétés. Un vrai choc qui a bouleversé ma vie. Pourquoi n’en avais-je jamais entendu parlé ni à l’école ni dans ma famille ? Pourquoi ce silence, cette absence, ce non-dit, ce crime oblitéré, ce cri assourdi depuis des siècles ? J’ai décidé d’en parler à travers un spectacle, pour révéler cette histoire à tous ceux qui ne l’avait pas apprise sur les bancs de l’école de la République. C’était le naissance de « Nèg pa ka mò ».
J’ai réuni autour du projet quelques étudiants et jeunes antillais des quartiers de banlieue, tout aussi assoiffés de cette vérité historique, et le projet est devenu collectif. En cela « Nèg pa ka mò » s’enracine dans une quête existentiellement identitaire. Savoir d’où l’on vient pour comprendre qui l’on est, et se construire en posant les bonnes fondations. Le groupe a pris le nom de la Troupe Mawon’, et nous avons été encadrés par un metteur en scène professionnel, Luc Saint-Eloy, pour la réalisation artistique de la pièce. Nous faisions ainsi nos premiers pas sur scène. Depuis, deux d’entre nous sommes devenus comédiens professionnels : Harry Baltus et moi-même.
14 ans après, j’ai décidé en cette année du 160ème anniversaire de l’abolition de l’esclavage, de remonter cette pièce avec d’autres comédiens amateurs et en devenir. En m’inspirant de la création originale, j’ai pris les rennes de la direction artistique pour remodeler cette pièce en l’actualisant.
Il ne s’agit pas de ma première mise en scène. Je me considère depuis quelques années comme un metteur en scène « en chantier », là aussi il s’agit d’un mûrissement. J’ai assisté les mises en scène de « Ti péyi lwen lwen » de Norma Claire, « Le Tigre » de Hélène Zidi-Chéruy, et mis en scène « Rèspé » montage poétique, « Mes krik et tes krak » spectacle de contes et musique, avant de co-mettre en scène « Waka douvan jou », Conte musical et chorégraphique de Max Diakok.
>> En quoi l’écriture, puisque vous êtes auteure, est-elle liée à votre pratique de comédienne?
L’écriture permet de créer et façonner des univers. Tout comme la danse et le chant, il s’agit d’un autre lieu d’expression et de créativité.
>> Auteure, metteure en scène, comédienne. Tout est-il compatible ou faut-il faire des choix?
Ces trois fonctions sont tout à fait compatibles et complémentaires. Ma fonction d’auteure et de metteur en scène viennent compléter ma fonction de comédienne à laquelle je donne pour l’instant la priorité.
>> Vous semblez inscrire votre travail dans une dimension identitaire caribéenne assez marquée, pourriez-vous monter des textes dans lesquels cette problématique serait abordée par un autre prisme que celui des Antilles, voire serait même serait absente ? Y-a-t-il des auteurs dit « du répertoire » qui vous attirent ?
Absolument, mes questionnements dépassent les frontières de nos eaux caribéennes. Il s’agit pour moi d’interroger la nature humaine dans tous ses possibles. À partir du moment où cette problématique entre en résonnance avec ma sensibilité, elle trouve sa place dans mon travail.
Auteur du dit « répertoire » ? Quel répertoire ? …
Je m’intéresse plutôt aux auteurs contemporains, qui bousculent parfois de façon tout à fait impertinente (et intéressante) l’écriture théâtrale.
>> A quels auteurs pensez-vous?
J’aime l’univers d’auteurs tels que Fabienne Kanor, Syto Cavé, Pauline Sales, Jean-Yves Picq, Carole Fréchette, Gaël Octavia, Frantz Succab…
>> Si le théâtre est avant tout une affaire de talent, c’est aussi une affaire de moyens. Quels ont été vos soutiens financiers pour monter Nèg pa Ka Mo ?
Nos moyens financiers étaient très limités, n’ayant à ce jour reçu aucune aide. La pièce a été remontée grâce à mes fonds propres. Gageons que son succès nous permettra d’équilibrer le budget de cette production, à l’issue de quelques représentations… les soutiens sont toujours les bienvenus !
>> Le reprise de Nèg Pa Ka Mo aura-t-elle une suite, je veux dire sera-t-il possible voir votre travail en communes ?
Nous continuons à démarcher les communes pour l’accueil de la pièce. « Nèg pa ka Mò » a déjà été très bien accueillie aux Trois-Ilets, au Robert et à Rivière-Salée au mois de mai. Nous sommes très optimistes pour la suite, les communes accueillent notre dossier avec beaucoup d’intérêt… à suivre !
>> Que diriez-vous aux metteurs en scène qui lassés de se heurter à des difficultés, des incompréhensions, si ce n’est de l’hostilité, songent comme José Exélis à s’exhiler ?
Je peux comprendre leur découragement et qu’ils aient besoin de s’oxygéner dans un ailleurs. C’est un métier difficile en soi, et d’autant plus dans une Martinique qui a du mal à reconnaître la valeur de ses artistes, et de leur donner une place à la mesure de leur talent. José Exélis est un metteur en scène de grand talent et à mon sens, incontournable. Partir lui fera sans doute un grand bien, mais son départ serait pour nous une grande perte !
Je crois qu’il y a un combat à mener sur plusieurs fronts : des professionnels de la culture réellement avertis et ouverts, des interlocuteurs compétents, des artistes audacieux, un public mieux sensibilisé à l’offre artistique et théâtrale, des administrations moins frileuses. Mais je crois que ce qui nous manque le plus cruellement c’est une politique culturelle et artistique cohérente tenant véritablement compte de notre exception culturelle tout en nous permettant un développement et une ouverture artistique, et qui nécessite une vraie réflexion sur rôle de l’artiste dans notre société (sortir d’une image de l’artiste-animateur-ambianceur-amuseur). Le théâtre très vivace en Martinique il y a quelques années, sous l’impulsion d’Aimé Césaire, est en nette perte de vitesse. Il faut s’interroger sur les raisons de cette régression. Il est vrai quand dans des conditions aussi difficiles, les artistes créateurs de rêve ont dû mal rester optimistes !
>> Comme metteure en scène avez-vous des projets dont on peut parler ?
En parler maintenant serait vraiment trop précoce mais d’autres fruits sont à mûrir !
Le 1er juin 2008