— Par Danik I. Zandwonis —
Le grand déboulonnage qui a débuté a ouvert un débat sur le statut des statues qui depuis des décennies font partie de « notre « environnement colonial. J’ai presque envie de dire qu’on s’est « habitué » à vivre avec et que leur disparition ne change pas grand-chose à l’ordre colonial.
Bien entendu, quand leur idole est mise à mal, ceux et celles qui ont décidé de vouer un culte ad vitam eternam à Schœlcher, expriment avec force leur colère. Car pour eux Victor Schœlcher a été l’illustre « libérateur » des nègres réduits en esclavage, oubliant que c’est ce même Schœlcher qui organisa le dédommagement financier des esclavagistes au lendemain du décret d’abolition.
Nos schoelchéristes en colère et nostalgiques, préfèrent oublier la face cachée du pseudo « libérateur ».
Mais le déboulonnage de Schœlcher est en somme toute un mouvement très épidermique voire cosmétique qui a vu le jour avant le meurtre de George Floyd et s’est amplifié ensuite.
Peu après les colonisés de Guadeloupe, de Martinique, de Guyane se sont souvenus, qu’il existait des monuments emblématiques de la période coloniale.
Alors oui on déboulonne Schœlcher, Esnambuc, Joséphine, voire même Christophe Colomb ; On pourrait même demander à changer le nom de la commune de Gourbeyre puisque ce général français fut un gouverneur de l’époque esclavagiste. Il faudrait comme on le fit pour « l’ex fort Richepanse à Basse-Terre, devenu fort Delgrès, débaptiser le fort Napoléon aux Saintes etc…
Mais tous ces déboulonnages successifs et médiatiques, nous le savons pour l’heure, tous ne changent rien quant au fond à notre problème majeur. Ce ne sont juste que des actes symboliques qui enragent certains et font bander d’autres. Ils sont l’expression d’une prise de conscience. Mais après ?
Car à vrai dire La statue de Schœlcher, la tombe du général Richepanse (malmenée en mai 2018 à Basse-Terre), ne sont que des représentations statuaires de la présence coloniale.
Ainsi en mars 2015, quelques nostalgiques de l’époque coloniale avaient voulu magnifier par une stèle commémorative le débarquement en1635 en Guadeloupe, des premiers colons français : les patriotes guadeloupéens ont éradiqué ce monument. Plus personne n’en parle. Mais venons-en à notre réalité quotidienne : quels sont les symboles les plus visibles, voire les plus sensibles du colonialisme français en 2020.
1/ la langue dans laquelle je m’exprime pour rédiger cet édito est celle du colon. Oui nous sommes « créolophones » ; nous savons aujourd’hui écrire, lire et enseigner notre belle langue nationale mais pour l’heure, elle est malgré nos combats successifs, encore considérée par le système éducatif français qui nous régit, comme une langue secondaire. Dans les lycées et collèges elle est optionnelle, souvent placée après le latin !
2/ La question du drapeau. Bien avant la « mode » du déboulonnage, des organisations patriotiques telles que le GONG, l’UPLG, le MPGI ou le FKNG ont contribué à faire connaitre un drapeau guadeloupéen qui est considéré comme un emblème national Gwadloupéyen. Notre drapeau guadeloupéen, aussi adopté par les groupes culturels tels que Akiyo, Voukoum, Nasyon Nég Mawon, etc… n’est même pas (encore ?) reconnu, par la Région (comme ce fut le cas en Guyane) ou par le conseil général. Les deux assemblées majeures restent très frileuses sur cette question.
La semaine dernière, (mais avant eux tous les maires nationalistes Barfleur, Broussillon, Donat sauf Lauriette) tous les maires élus ont ceint avec émotion l’écharpe bleue blanc rouge, qui est le symbole le plus puissant et le plus récurrent de la présence coloniale française !
Partout dans notre espace quotidien, ce drapeau tricolore français est omniprésent. Oui c’est vrai ; il est arrivé dans les années 80 que de jeunes patriotes décident d’en bruler un… geste puissant mais qui demeura sans suite !
Car il aurait fallu brûler les milliers d’oriflammes tricolores qui « ornent » notre quotidien. Est-ce seulement imaginable ?
Faut-il rappeler que lors des 14 juillet, 11 novembre, 8 Mai, et à chacune des commémorations françaises célébrées chez nous, outre les drapeaux tricolores, c’est l’hymne français, la Marseillaise qui résonne dans nos têtes crépues !
C’est toujours cela la réalité coloniale de cette période mois post-covid.
Cela signifie, que le déboulonnage de Schœlcher ou autre, peut susciter un bel enthousiasme, mais il faut rester lucide tant que nous n’arriverons pas à déboulonner le système colonial, nous ne serons que les spectateurs de notre histoire ;
Le déboulonnage colonial est une affaire sérieuse est-il vraiment à l’ordre du jour ?
Il faudra sans doute plus que des marteaux et des cordes pour en finir avec le colonialisme français.
Depuis 1635, les français font la pluie et le beau temps sur cette terre amérindienne sur laquelle nous vivons. Ils ont commencé par génocider les kalinagos, puis arracher de leur pays des millions d’africains, nos ancêtres lesquels ont été réduits en esclavage et nous sommes en 2020, les descendants directs de ces hommes et ces femmes qui ont été déportés, déracinés, humiliés, asservis, torturés, violés et exploités.
Même en prêchant le vivre ensemble, il est difficile de ne pas se rappeler qu’il y a à peine 2 générations, nos pères et mères étaient dans les fers et que les blancs -pays qui sont présents ici sont eux les héritiers de ces colons esclavagistes qui ont eu tous les privilèges y compris la jouissance d’une terre que nos parents ont mis en valeur…
Alors, badigeonner puis décapiter Schœlcher, est-ce une fin en soi ou le début d’une processus révolutionnaire destiné à en finir avec le colonialisme ?
Je voudrais en être sûr, mais nous savons tous que ces déboulonnages spectaculaires, ne règlent en rien nos problèmes récurrents. Ce n’est d’ailleurs pas le but.
Le système post-colonial français est hélas encore bien « boulonné ». Ses statues, ses symboles les plus visibles peuvent être détruites, cassées car pour l’heure le colonialisme français dans nos pays jouit toujours d’une grande vitalité. Il est présent H24. La décolonisation de notre pays n’a pas débuté. Les déboulonnages, oui d’accord, mais c’est quoi la suite ?
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Edito paru dans Caraibecreolnews.com
Illustration : (Photo J.-M.E./Archives France-Antilles)