Variations sur « l’intégrisme masculin »
Par Selim Lander
Les Martiniquais connaissent bien D’ de Kabal qui s’est produit plusieurs fois chez nous… ou croyaient bien le connaître. Il se présente cette fois dans un seul en scène qui révèle d’autres facettes de son talent. Dans ce nouveau spectacle intitulé L’Homme-femme – les mécanismes de l’invisible, dont il a écrit le texte et assuré la M.E.S., il joue en effet moins que d’habitude avec un micro et exploite moins la tessiture étonnamment grave et métallique qu’il est capable d’atteindre. Il parle d’abondance, le plus souvent à voix nue, et cultive un registre intime. Il se présente tout d’abord vêtu seulement d’une jupe blanche qui crée un contraste pour le moins déroutant avec la barbe fournie et le corps massif. Malaise… lequel se trouve renforcé quand il entame son discours en dénonçant le mauvais procès qui est fait aux musulmans lorsqu’on leur demande de se désolidariser publiquement des djihadistes. À ce compte, en effet, on pourrait tout autant dénoncer le mauvais procès qui est fait aux Français dits « de souche » dont on exige repentance pour les crimes commis par leurs ancêtres colonialistes et esclavagistes…
Passons sur les premières minutes du spectacle en précisant néanmoins que la jupe se justifie entièrement ici puisque l’interprète jouera tantôt le rôle d’un homme et tantôt celui d’une femme. Pour en finir avec les costumes, ajoutons que D’ de Kabal enfilera bientôt un pantalon sous sa jupe et qu’il finira entièrement habillé en homme.
La pièce parle principalement de « l’intégrisme masculin », suivant l’expression de l’auteur lui-même. On la comprend par analogie avec l’intégrisme religieux. Les religieux maltraitent les humains, souvent sans même s’en rendre compte. Quand un imam intégriste pousse une musulmane à se voiler, il croit faire le bien de cette femme. Quand un rabbin intégriste enseigne aux juives pratiquantes « l’impureté » liée aux règles et les rituels qui leur sont liés, il ne voit pas à mal, etc. La violence religieuse n’a nul besoin pour se manifester du jihad ou des croisades… et elle est le plus souvent exercée par les hommes à l’encontre des femmes.
Les religieux (intégristes) n’ont pas le monopole de la domination masculine. Tous les hommes qui traitent les femmes comme de simples objets pour leurs plaisirs sont des « intégristes masculins », sachant que le machisme dans ses manifestations sexuelles en particulier n’est pas seulement le fait des individus comme Strauss-Kahn (auquel il est clairement fait allusion dans la pièce). Il existe une violence plus subtile dont l’homme peut être l’instrument sans en avoir conscience. Par exemple lorsque sa partenaire se « laisse faire » alors qu’elle n’en a pas envie. « L’absence de non ne veut pas dire oui », souligne à juste titre D’ de Kabal. On voit l’intérêt d’un tel propos véritablement pédagogique et que D’ de Kabal prolonge d’ailleurs en dehors des salles de théâtre dans des ateliers à l’intention des publics les plus « sensibles ».
Son discours ne se limite d’ailleurs pas à la violence de l’homme contre la femme. Il n’oublie pas que la situation inverse peut également exister, même si, pour des raisons évidentes, elle n’est pas celle qui doit être combattue en priorité. Il souligne enfin (d’où la jupe) la part féminine qui existe en tout homme et invite à la laisser davantage s’exprimer.
D’ de Kabal se révèle dans cette pièce remarquable orateur. Il le faut pour défendre ces thèses devant le public du théâtre, en majorité féminin au demeurant, et convaincu d’avance (même si une piqure de rappel de temps en temps ne peut pas faire de mal). Aussi, davantage que par le contenu du message – dont on ne niera pas l’importance, au contraire – est-on séduit par la manière dont D’ de Kabal le transmet, en mobilisant les ressources d’une rhétorique bien rodée : adresse au public, appel à son imaginaire, formules choc, répétition, diction, etc. Comme Froissart, nous pourrions écrire : « parloit si belle rhetorique et par si grand art, que ceux qui l’oyoient estoient tous resjouis de son langage » ! Et, bien sûr, D’ de Kabal ne se prive pas de recourir à la technologie d’aujourd’hui (lumières, musique, micro), mais sans en abuser comme noté plus haut.
Tropiques-Atrium, Fort-de-France, 27 avril 2017.