— Par Roland Tell —
Il est admis, de plus en plus, que l’enseignement ne constitue plus le lieu unique de la référence culturelle. En gros, on peut dire que la culture, ce sont les connaissances, mais c’est aussi le réseau capable d’organiser ces connaissances. Les réseaux conceptuels donnent, à ces connaissances, une structure. Autrefois, l’école fournissait les connaissances, en même temps que les réseaux. Aujourd’hui, en 2018, il n’en est plus de même ! En ce qui concerne les connaissances, l’école est dépassée, de toutes parts, par le foisonnement, par la démultiplication des « culturèmes » – petits éléments de culture, dispersés et reçus, de manière aléatoire, par les micro-milieux ( A. Moles, cybernéticien pluridisciplinaire). Une analyse des connaissances des élèves met en évidence leur prodigieuse diversité, et l’extraordinaire désorganisation de ces connaissances.
Ces « culturèmes », ainsi que les efforts de certaines institutions extérieures à l’enseignement, pour donner une certaine articulation en réseau à ces culturèmes, forme ce que l’on appelle actuellement « l’école parallèle ». Par exemple, certaines émissions, certains spectacles, ont des éléments intégrateurs, mais l’école a pour fonction de construire le réseau général, de mettre de l’ordre dans une masse considérable de connaissances. C’est pourquoi il est possible que l’école moderne ait davantage à se préoccuper des réseaux, et ne puisse pas lutter avec l’école parallèle, en ce qui concerne les connaissances.
Par conséquent, l’école manque aujourd’hui la culture vécue, parce qu’elle n’assure pas l’intégration des connaissances, dont disposent en fait ses élèves. De plus, l’école manque la culture, parce qu’elle ne l’appelle pas sous sa forme fonctionnelle. Ce qui nous donne une deuxième définition de la culture :
1) La culture est la conjonction du savoir et du réseau .
2) La culture, c’est la communication régulatrice.
En effet, la culture institue, entre les individus qui y participent, une communication régulatrice. En ce sens, la culture, c’est le langage, comme moyen d’expression, quel qu’il soi : langue française, langue créole, mathématique, dessin technique, image. Attention, cependant : la culture peut devenir le moyen de défense d’un groupe ! N’y-a-t-il pas de plus en plus fonction de défense de la langue créole – défense du milieu culturel, considérant celle-ci comme ce qui est le moyen de communication par rapport à ses propres valeurs, afin de donner à cette culture de groupe dominant le caractère de général et d’universel ! A côté de celle-ci, peut-on parler de « haute culture », s’agissant de la langue française, en affirmant la prééminence des formes littéraires ou esthétiques dans les valeurs culturelles. Ce sont là des phénomènes de dialectique historique tout à fait naturels. Cependant, les institutions scolaires et universitaires doivent-elles s’en faire des complices, dans des mouvements de défense ou de dissociation ? Certes, il faut rejeter de telles fonctions, et donner comme but à l’école et à l’université de promouvoir une culture de communication régulatrice entre tous les citoyens martiniquais, sans qu’il y ait l’introduction de facteurs de dissociation ! Dans cette perspective d’ailleurs, le Ministre de l’Education Nationale, par ses circulaires et ses mesures de rentrée 2018, révèle l’enseignement sous un un aspect de plus en plus imposé, afin de le mieux connaître, celui de « système », institué et instituant. Il y a aujourd’hui complicité entre l’idéologie au pouvoir et l’évolution de la connaissance, nécessité d’ajuster le contenu des enseignements au contenu réel, général de la culture à un moment donné. Le problème pédagogique est dans cet ajustement. D’où une culture actualisée (cf. Circulaire du 26 Juillet 2018), qui ne peut être que l’ensemble des langages à tous lesquels se forme et se régule l’expérience humaine au sein de la société. Voilà pourquoi l’axe fondamental de tout contenu, ce sont les langages : la langue française, la langue créole, dite « régionale », la langue mathématique, les langues vivantes, dont l’anglais et l’espagnol, pour notre environnement.
La mutation, opérée par les récentes mesures, c’est l’actualisation (« Questionner le monde », dit le texte ministériel..). Il s’agit donc d’une ouverture générale sur le monde moderne, qui comprend, non seulement des concepts, mais des motivations, des devoirs, des appels vers l’action. Si la vie moderne est celle où il y a de plus en plus à apprendre, on peut dire que l’homme cultivé, c’est celui qui sait utiliser la documentation. Dans ce sens, on peut dire que l’enseignement consiste à doter les élèves à la fois d’une mémoire interne, basée sur un certain nombre de connaissances, et des réseaux plus larges que ces connaissances, et d’une mémoire externe, basée sur la présence de tous les instruments et outils de documentation avec la manière de s’en servir. De sorte que cette documentation, cette nécessité de l’articulation avec la mémoire externe amène un pas de plus vers l’extériorisation, dans l’évolution humaine de ce qui est proprement humain. Par conséquent, l’école doit être un lieu où cette vie polyforme et polyvalente doir avoir un certain écho, bien qu’elle préserve ses réseaux par les disciplines fondamentales.
ROLAND TELL