Le titre choisi par l’éditeur français pour traduire « This is Cuba: an outlaw culture survive » ne rend pas service à Ben Corbett qui n’ a pas écrit un livre de prospective, mais bien une description minutieuse et documentée de la vie quotidienne des Cubains. Condamné au système D, au marché noir et donc à l’illégalité, le peuple cubain lassé des diatribes de son « comandante », survit comme il peut aux incessantes pénuries que la rigidité du socialisme Cubain ne cesse d’engendrer. Ben Corbett montre bien que l’acharnement idéologique de Castro est la véritable cause du désastre économique cubain : dès qu’un petit espace de liberté est créé, les Cubains s’y engouffrent aussitôt, mais le pouvoir prend alors rapidement les mesures nécessaires pour asphyxier toute tentative de libéralisation économique.
En attendant mieux, chaque Cubain est dans l’obligation de vivre dans l’illégalité pour pouvoir simplement subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Ben Corbett a bien saisi la logique dévastatrice du castrisme qui veut absolument capter jusqu’au dernier dollar qui circule dans l’ile, tout en n’étant plus capable de faire fonctionner l’économie en pesos, qui est censée faire vivre les Cubains.
Certains passages comme la visite impromptue d’un centre de travail forcé sont assez remarquables (en échange d’un paquet de cigarette pour le directeur, « qui fait son chemin » selon le traducteur ?, probablement « makes is way » traduit mot à mot) : les détenus rencontrés par Ben Corbett effectuent des peines de six mois à un an, pour avoir vendu une vache… ou réparé une voiture et un pneu de byciclette sans licence. C’est toute la mesquinerie orwelienne de l’oppression castriste qui transparait dans ces petites anecdotes. Plus interessante encore est la rencontre avec un petit groupe de Cubains en train de préparer, dans le plus grand secret, un bateau pour s’evader clandestinement vers la Floride : les riques encourus sont alors énormes, mais ils sont à la mesure des rêves d’une nouvelle vie « made in USA »
Ben Corbett est moins à l’aise sur le chapitre économique lorsqu’il s’agit d’analyser le fonctionnement de l’économie cubaine : la question de l’embargo, des investissements étrangers et de la dette cubaine est évacuée rapidement. Le chapitre final sur l’après Castro est visiblement bâclé : il n’y a pas un mot sur l’opposition interne, sur les dissidents et les journalistes indépendants.
Certaines erreurs de traduction sont gênantes comme pour décrire le Cuba d’avant la révolution, Corbett parle d’une « Cuba commerciale, dont le cocktail national était le Cuba Libre, le Rhum et la coke…. » On trouvait sans doute de la coke sous Batista, mais en l’occurence il s’agit de Coca Cola.
Le chapitre sur le cinéma est confus : Ben Corbett parle d’un « résultat avalisé par Castro et Che Guevara » alors que Che Guevara n’a pas participé à la mise en place de l’ICAIC (l’institut du cinéma cubain) : c’est Alfredo Guevara qui l’a fait. Un ami de longue date de Castro, membre du parti communiste et qui n’a aucun lien de parenté avec le Che. Dans le même chapitre, le grand classique de Gutierrez « la mort d’un bureaucrate » (1966) devient « Mort d’une bureaucratie » sous la plume du traducteur, et Santiago Alvarez, Santiago Alavarez…..
Quant au film « Hacerse el Sueco » , il est traduit comme « Faire le Suédois », alors que Ben Corbett le sait sûrement, pour un Cubain cela signifie « faire l’idiot » ou celui qui ne comprend rien.
Mais ces petites erreurs qui auraient du être évitées n’empêchent pas une lecture agréable avec des témoignages émouvants et parfois très drôles sur les absurdités de la vie de tous les jours à Cuba. Ce livre est aussi le résultat d’un vrai travail d’enquête sur le terrain, qui a sans doute demandé beaucoup de temps et de patience. Personnellement je le recommande à tous ceux qui envisagent de faire un voyage à Cuba pour y faire autre chose que du tourisme.
17/04/2006
OL