— Par Jean-Marie Nol, économiste —
La crise sanitaire du COVID 19 nous ouvre une occasion inédite de remettre en cause les diktats économiques qui ont été constitués en lois d’airain lors de ces dernières décennies de départementalisation, au premier rang desquels la primauté de la croissance avec pour moteur la consommation …. Clé de l’emploi et de la croissance en Martinique et Guadeloupe , élément de différenciation sociale, la consommation a fait l’objet d’une grande variété d’analyses mais trop souvent sous un prisme idéologique.
Aujourd’hui en Martinique et en Guadeloupe, le fait est que pour certaines personnes toujours prêtes à attiser les braises d’un nouveau conflit social, nous serions en présence d’un inquiétant épisode d’acmé, c’est à dire de la phase d’une maladie où les symptômes sont au plus haut degré d’intensité.
En quelque sorte, une apogée, un point culminant de la colère, de la détresse et de la désespérance du territoire Martiniquais et guadeloupéen présentement confrontée à une crise inédite. Pourtant l’analyse, les chiffres et les faits démentent ce tableau noir dressé par les organisations militantes et syndicales de Martinique et de la Guadeloupe qui s’apprêtent de nouveau à ruer dans les brancards par une mobilisation de rue avec bien entendu en arrière pensée un remake de la crise sociale de 2009.
Pour bien comprendre la problématique de la croissance économique en Guadeloupe, il convient d’abord de la définir et surtout faire une comparaison avec un territoire sensiblement identique à celui de la Guadeloupe à savoir la Martinique. La croissance économique désigne la variation positive de la production de biens et de services dans une économie sur une période donnée, généralement une longue période. En pratique, l’indicateur le plus utilisé pour la mesurer est le produit intérieur brut (PIB)qui détermine en quelque sorte la richesse produite par le pays. Dans cette optique, on peut considérer que la consommation et l’investissement sont les moteurs de la croissance.
Il est assez fréquent de voir recourir à des indicateurs qui mettraient en évidence une avance de la Martinique au regard de la Guadeloupe et des autres DOM. Cette approche est désormais battue en brèche par notre analyse du PIB.
Evolution des taux de croissance du PIB en volume | |||
2016 | 2017 | 2018 | |
Guadeloupe | 1,1% | 4,3% | 2,3% |
Martinique | -0,8% | 0,4% | 0,5% |
Le différentiel de croissance est élevé. Dès 2016, le PIB de la Guadeloupe est supérieur et l’écart s’accroît.
La différence entre les PIB globaux de Martinique et de Guadeloupe s’explique d’une part par une productivité apparente du travail plus élevée en Guadeloupe qu’en Martinique où les conflits sociaux sont nettement plus importants, et d’autre part du fait des problèmes politiques et administratifs dans le fonctionnement de la CTM (collectivité territoriale de la Martinique) mais également et surtout par des différences d’évolution de la qualité du climat social qui s’est profondément dégradée depuis la crise sociale de 2009 en Martinique qui a vu fuir les investisseurs pour la plupart « békés » paniqués par les attaques dont ils ont fait l’objet et qui ont donc par voie de conséquence procédé au rapatriement massif de leurs investissements sur la Guadeloupe. On voit bien l’importance du climat social dans les facteurs de hausse de la croissance en Guadeloupe à partir de 2014. Cette problématique exige que l’on doit changer quelque chose de notre modèle économique et social actuel, et donner la priorité à l’investissement dans la production, et c’est maintenant qu’il faut penser aux efforts qu’il faudra faire demain pour redresser autant que faire se peut une production locale déjà passablement sinistrée, mais qui offre encore des perspectives de stabilité au niveau des investissements et de vigueur économique future.
Franchement pour les martiniquais et guadeloupéens, s’ils veulent conserver leur niveau de vie à la sortie de cette crise, il va falloir instaurer un meilleur climat social, voire travailler plus et surtout polémiquer beaucoup moins s’ils veulent faire mentir le propos que nous avions affirmé précédemment à savoir que la Guadeloupe comme la Martinique, «une fois la crise sanitaire passée, répondra à la crise économique voire très certainement sociale et à l’appauvrissement général qui va intervenir».
La crise économique est d’ores et déjà à nos portes avec bientôt son lot de faillites d’entreprises et de chômeurs. Alors, dans les jours et les mois qui viennent, que risque-t-il de se passer pour l’économie de la Martinique et de la Guadeloupe ?
Certains économistes de l’IEDOM pensent que l’on pourrait en effet avoir affaire aux Antilles à un scénario d’une « courbe en V », c’est-à-dire une forte chute de l’économie qui est suivi d’un rebond important, effaçant ainsi les conséquences les plus graves de la crise dite du coronavirus. Mais pour ce qui me concerne , on pourrait à l’inverse imaginer plutôt une courbe en L : chute brutale mais brève de l’économie avec une diminution du produit intérieur brut (PIB) d’environ 10 % et stagnation tout en bas. La projection est difficile, mais nous pouvons déjà dire que ce sera une crise économique doublée d’une crise financière.
Les martiniquais et guadeloupéens surtout syndicalistes ne veulent pas voir la réalité économique en face. C’est ce déni de réalité qui les empêchent de se rendre compte qu’ils sont les derniers enfants gâtés de la France et de l’Europe.
Mais nonobstant l’importance de l’épargne aux Antilles, cela risque de ne plus durer justement à cause de la crise financière.
Plus les martiniquais et guadeloupéens tarderont à agir pour mettre en place un nouveau modèle économique et social, plus leur modèle de la départementalisation aura de chance d’exploser. Et surtout le temps ne travaille pas en notre faveur, d’autant que notre malheur risque de survenir par des causes plus culturelles et identitaires qu’économiques.
Progressivement d’opérateur économique en agent économique, les impayés vont se propager, et le circuit économique risque d’être complétement bloqué, tant qu’une reprise de l’activité n’apparait pas.
Le citoyen des Antilles françaises est le plus critique de l’Outre-mer Français – Et c’est déjà un défaut des Français dans leur ensemble – mais aussi le moins gouvernable. Ici, la contestation est devenu un rite et le rejet de l’autorité , une religion séculière.
Mais tout ceci à nos yeux est préjudiciable à la croissance et cette posture risque de mettre à mal, à terme, les pays Martinique et Guadeloupe. Nous privilégions la forme et l’émotion au détriment du fond. C’est là une vision à courte vue. Aussi, les choses doivent changer, et pour ce faire, il faut rapidement s’inspirer d’un autre modèle culturel, économique et social pour arriver à redynamiser l’économie après la crise et stimuler enfin l’esprit d’entreprise et mobiliser l’épargne en direction d’une économie de production exogène. Nous en avons la possibilité avec l’aide d’une bonne catharsis , mais pour autant nous devons retrouver cette ambition du travailler plus et du goût de l’effort, voire refonder un espritd’unité et non se perdre dans une guerre picrocholine.
Jean-Marie Nol économiste