« Tété doubout sé pou on tan »
— Par Jean-Marie Nol, économiste —
La mutation de la société Antillaise va forcément s’accélèrer avec l’émergence d’une nouvelle économie reposant sur la théorie de la destruction créatrice et la restructuration de pans entiers du secteur des services. Le choix important auquel nous sommes confrontés est entre l’isolement nationaliste et la garantie du maintien de la solidarité nationale . L’épidémie elle-même et la crise économique et sociale qui en résulte sont des problèmes mondiaux. Ils ne peuvent être résolus efficacement que par un soutien massif de l’Etat français aux entreprises et ménages de la Martinique et de la Guadeloupe . Sans les mesures de l’Etat, le constat serait bien sans conteste la ruine de l’économie de la Martinique et de la Guadeloupe.
Plus généralement, cette crise nous oblige à nous poser des questions sur notre manière de vivre et de consommer. Ainsi, les mutations en cours pourraient voir leur adoption accélérée par la population. Personne n’est aujourd’hui capable de savoir ce qu’il en ressortira, mais il semble acquis que l’après coronavirus ne sera pas totalement comme l’avant.
Alors qu’est ce qui devrait changer dans la décennie à venir ?
La crise économique engendrée par la pandémie de Covid-19 va changer profondément » l’économie mondiale, vers plus d’écologie, de numérisation et dans les modes de travail.
Pour la Martinique et la Guadeloupe, cette crise va être une accélération de transformations qui étaient déjà latentes dans nos économie déjà fortement tertiarisées depuis deux décennies.
En agriculture , en travail, en commerce, ce que nous venons de vivre va accélérer les transformations et va entraîner probablement une évolution vers un mode vie moins soutenable financièrement mais plus écologique. .
Parmi les transformations possibles, on peut évoquer le télétravail, qui va transformer les modes de fonctionnement de l’ensemble des salariés Martiniquais et Guadeloupéens comme en France hexagonale , et l’accélération de la numérisation, dans les services ou l’automatisation dans l’ industrie et la robotisation dans le secteur des services notamment bancaires et financiers .
Par ailleurs, le commerce en ligne va très fortement se développer.
Et cette évolution devrait encore s’accélérer à l’avenir au détriment du commerce plus traditionnel. On cessera d’acheter de façon frénétique des choses inutiles et on reviendra à l’essentiel , d’où un nouveau modèle de développement économique et social proche de la décroissance.
De fait, les fondements du pouvoir d’achat et le lien social se trouveront demain fragilisés.
La crise actuelle peut accélérer aussi le retour à la production locale et l’abandon de toute cette consommation frénétique héritée de la départementalisation .
La conséquence sera incontestablement la paupérisation de plus en plus accélérée des centres-villes des communes ainsi que la désaffection progressive pour les centres commerciaux au profit des circuits courts de commercialisation .
Par ailleurs, la crise économique et sociale du Covid 19 va conduire à des changements essentiels dans l’organisation politique de la Martinique et de la Guadeloupe de l’ère de la départementalisation , et dans la culture créole qui sous-tendait cette organisation. Cette fameuse évolution statutaire, véritable serpent de mer, qui est dans l’air du temps est peut-être le moment de se défaire de toute cette culture d’assistanat dont on connaît les vices.
Ainsi, l’on peut déjà dire que le Covid 19 nous rappelle à l’ordre et annonce une mutation profonde économique et sociale possible en Guadeloupe et en Martinique. Ainsi, le journal l’express nous alerte sur une crise économique dévastatrice pour l’Outre-mer. « Les pertes instantanées d’activité pendant le confinement sont estimées à 30 % », note un rapport de la délégation aux Outre-mer du Sénat.
Pour ce qui concerne la Martinique, au premier trimestre 2020, selon une étude de l’Insee, l’emploi salarié enregistre une baisse record depuis 2011 en Martinique . Les effectifs diminuent de 1,8 % depuis le début de l’année, soit 2 200 emplois en moins (après + 0,6 % au trimestre précédent).
Cette baisse s’explique quasi-exclusivement par des suppressions nettes d’emploi dans le secteur privé, atteignant 2,5 %, soit 2 100 emplois en moins. Dans la fonction publique, l’emploi recule moins vite (– 0,3 %), soit 100 emplois en moins.
L’emploi salarié recule également sur un an (– 0,6 % après + 2,2 % par rapport à mars 2019). Cette baisse s’explique à la fois par un recul principalement dans la fonction publique (– 1,0 %) et dans le secteur privé (– 0,3 %). Fin mars 2020, 121 900 salariés travaillent en Martinique, soit 700 emplois en moins sur un an.
L’Insee dans sa dernière note de conjoncture nous annonce également une année 2020 difficile en Guadeloupe marquée par la pandémie de la Covid-19. En effet, l’emploi salarié chute de 2,7 %. Il retrouve son plus bas niveau depuis le quatrième trimestre 2018. Il recule également sur un an de 0,5 % après une augmentation lors des deux années précédentes. Au premier trimestre 2020, la baisse est surtout portée par le secteur privé avec 3 200 destructions nettes d’emploi (soit – 4,1 %). Cette baisse concerne tous les secteurs. L’emploi intérimaire est en recul avec une suppression d’un tiers de ses effectifs. Ce trimestre connaît également un repli des créations d’entreprises.
Si tous ces chiffres peuvent sembler abstraits pour beaucoup d’entre nous, ils ne sont pas moins vertigineux au regard des autres récessions et grandes crises économiques traversées depuis un siècle. En prenant les prévisions du FMI comme base de comparaison, la récession actuelle est sans commune mesure avec celles rencontrées depuis la Seconde guerre mondiale.
Cet article de l’express, le rapport du Sénat, et les notes de l’Insee confirment nos craintes antérieures et corroborent nos nombreuses mises en garde. Mon discours ne relève pas d’un pessimisme ayant pour effet de provoquer une quelconque peur , mais se veut pro actif pour accélérer la prise de conscience .
Les chiffres démontrent le niveau de danger intenable atteint à ce jour. La dette publique mondiale va grimper cette année à un niveau inédit dans l’histoire pour représenter 101,5% du PIB mondial, soit plus qu’à l’issue de la Seconde Guerre mondiale, soulignent des responsables du Fonds monétaire international dans un article de blog publié vendredi.
Le secteur bancaire mondial pourrait subir en deux ans jusqu’à 2.100 milliards de dollars de pertes sur les crédits qu’il a accordés en raison du choc provoqué par le Covid-19 sur l’économie internationale, anticipe l’agence S&P Global Rations.
Les banques doivent s’attendre à une explosion des défauts de paiement pour les crédits. C’est l’autre versant de la crise économique causée par le coronavirus. Alors que de nombreuses entreprises sont impactées par la situation, le montant des factures considérées comme impayées a presque doublé par rapport à avant la crise aux Antilles. Avec l’allongement des délais de paiement des collectivités locales , la crise économique engendrée par la pandémie du Covid-19 va modifier en profondeur la façon dont les entreprises gèrent et géreront leur trésorerie et le cash disponible.
Le niveau de la dette mondiale nous place planétairement dans une zone de risque ou tout est possible, voire certain. Les indicateurs de la crise annoncée m’alertent et la crise économique qui s’annonce pourrait être les prémices d’une succession de crises et l’éventualité d’une guerre n’est pas exclue. J’ai toujours tenté depuis tantôt de partager mon inquiétude en décrivant dans mes différentes tribunes les probables dangers sociaux et économiques qui s’annoncent et par là faire en sorte que ce partage conduise à des réflexions afin de préparer et surtout d’éviter les conséquences d’une situation alarmante pour la Martinique et la Guadeloupe.
Notre société est sur un point de bascule. La chute vers l’abîme se précise. La crise économique et sociale est imminente, car tout simplement la dette publique et privée est au plus haut insoutenable et que la récession mondiale se dévoile.
Comment croire à la chute annoncée d’un pays riche, la France ? Peut-on imaginer une communauté aussi riche que l’Europe au bord du gouffre ? Nous rêvions de paix et de prospérité. Se profilent à l’horizon, pour la décennie à venir, de graves luttes sociales : les indicateurs et les ressorts de ce phénomène sont en place. Je crains que cette crise à venir ne frappe avec violence la Martinique et la Guadeloupe . Le torchon brûle, aucune leçon ne peut être tirée du passé par les activistes qui se complaisent dans un déni de réalité . Nous fonçons dans un mur et nous n’avons pas de solution autre que d’espérer une aide massive de l’État français, et ce d’autant que toutes les collectivités locales de Martinique et Guadeloupe sont déjà en grande difficulté financière.
La réaction humaine d’un peuple qui souffre de sa situation financière qui se détériore est de chercher une issue du côté de ce qui semble protéger de l’urgence. Et là réside le véritable défi d’un accompagnement financier de l’État français.
Nous sommes face à une remise en question de nous-mêmes. Il y aura une mise à nu de la société Antillaise avec sur le long terme un rapport beaucoup plus réfléchi et sensible à la consommation et aux problématiques sanitaires, écologiques, altruistes, solidaires.
En réalité, rien ne restera figée et il va falloir que les Martiniquais et Guadeloupéens s’habituent à vivre dans l’incertitude.
Nous essayons actuellement de nous entourer d’un maximum de certitudes, mais vivre, c’est naviguer dans une mer d’incertitudes.
On y ait désormais et nous devons plus que jamais méditer sur le caractère éphémère des choses heureuses héritées de l’ère de la départementalisation : « Tété doubout sé pou on tan » (« les seins fermes ne durent qu’un temps »)
Jean-Marie Nol, économiste