— ParJean-Marie Nol, économiste —
La situation économique, agricole, financière, sociale, sanitaire, environnementale, culturelle s’aggrave d’année en année en Guadeloupe et en Martinique, sans pour autant que quiconque depuis la fameuse crise sociale de l’année 2009, au sein du monde politique et économique n’ait le courage de soulever en public les vraies questions qui fâchent et tirer dès lors la sonnette d’alarme. Mais quelle solution recherche encore et que veut de plus le gouvernement français pour endiguer la crise inflationniste en Guadeloupe et en Martinique ?
D’aucuns pourraient qualifier cette inertie de forfaiture et imputer cette dégradation progressive du tissu économique et social de la Guadeloupe et de la Martinique à une fâcheuse corrélation avec les difficultés budgétaires et financières que rencontre la France haxagonale. De prime abord, les faits semblent patents, mais qu’en est-il vraiment ?
Si l’on analyse finement les chiffres de l’ INSEE, force est de constater que ces derniers sont de plus en plus catastrophiques. Ainsi, après le nouveau sommet historique atteint par la dette publique française au deuxième trimestre 2023, en l’occurrence 3 046,9 milliards d’euros, c’est au tour du déficit budgétaire de l’Etat français de battre un nouveau record. En effet, de janvier à août 2023, ce dernier a atteint 187,93 milliards d’euros, soit 9,9 milliards de plus que le précédent sommet enregistré de janvier à août 2021. Dans ce cadre, il n’est pas utile d’être un grand Grec de la finance pour connaître la nette dégradation de l’économie en France, et comprendre que la dette publique (qui, rappelons-le n’est que le cumul des déficits publics) va encore battre des records au cours des prochains trimestres. Et ce, d’autant que la baisse de l’activité et l’augmentation des taux d’intérêt des obligations d’Etat vont encore creuser les déficits, donc la dette, ce qui suscitera une nouvelle tension des taux d’intérêt obligataires, donc moins de croissance, plus de déficits et le cercle vicieux pour ne pas dire pernicieux continuera de plus belle en dépit des mesures déjà prises ou à prendre pour inverser la tendance du déclin. Pourtant, il y a bien péril en la demeure car la dette totale de la France atteint un niveau faramineux aggravé par la hausse des taux.
Le hic est que les autorités sont actuellement parfaitement au fait de cette crise structurelle des finances publiques, et de fait la facture réelle risque d’être encore plus salée pour les ressortissants de l’Outre-Mer. En effet, par un effet comptable mécanique, l’augmentation de la dette publique affichée en France signifie au final une prochaine décision inéluctable de réduction drastique de la dépense publique et d’une baisse des dotations et subventions de l’État voire de l’Europe dans les prochains mois de l’année 2024.
Par ailleurs, en ce qui a trait à la croissance : la France est redevenue la lanterne rouge, en Europe ( à la fin de cette année 2023 la croissance s’établira à 0,6 %, assez éloigné de l’hypothèse d’une croissance de 1 % pour 2023 retenue par l’exécutif dans ses prévisions budgétaires).
En outre, pour ne rien arranger, les enquêtes des directeurs d’achat de septembre ont confirmé que la récession était bien en train de s’installer dans l’Hexagone. Encore plus inquiétant, à fin septembre, le nombre de défaillances des entreprises cumulé sur les derniers mois croît de nouveau (chiffres provisoires à 51 160 contre 50 671 un mois plus tôt).
Sauf que la situation des entreprises tricolores n’est pas immédiatement comparable à celle de leurs homologues des Antilles. À l’inverse de la France haxagonale, l’inflation n’est pas tirée par la hausse des marges des entreprises, elle est actuellement structurelle. L’inflation en Guadeloupe et Martinique est plus élevée, malgré le fait que sa composante énergétique soit plus faible.
Pour ce qui concerne plus particulièrement la santé économique de la Guadeloupe et Martinique, l’on assiste à une remontée franche des défaillances d’entreprises en ce 3è trimestre 2023.Les défaillances constituent un indicateur incontournable de la santé économique des entreprises, notamment du tissu de TPE-PME.
Au 3e trimestre 2023, le nombre de défaillances est redevenu supérieur à son niveau de 2009 dans les 2 îles (1789 défaillances) et la situation ne devrait pas s’améliorer dans les mois à venir, compte tenu de la dégradation conjoncturelle relative de l’environnement économique, des conséquences de l’inflation (remontée rapide des taux, pressions sur les marges et comportement de consommation des ménages) et du remboursement de la dette covid à savoir les PGE.
Il s’agit là d’un point d’alerte majeur pour le tissu productif antillais.
Quelques secteurs sont particulièrement touchés : l’agriculture, le tourisme notamment en Martinique, l’agroalimentaire en Guadeloupe, le transport routier de marchandises, et les services. Les entreprises en lien direct avec le consommateur paraissent plus en difficultés (agroalimentaire, coiffeurs, soins corporels, loisirs, …), dans un contexte inflationniste qui a modifié les comportements de consommation. A l’inverse, le secteur du bâtiment résiste pour l’instant aux difficultés du marché de l’immobilier.
Les défaillances devraient continuer à progresser au cours des 18 prochains mois de l’année 2024 et 2025.
Au-delà de l’héritage de la crise covid, l’inflation est une source de préoccupation majeure pour les ménages et entreprises : d’une part, la hausse du prix des intrants et de la main d’œuvre pèse sur les marges de production, mais aussi l’inflation a aussi réduit la demande via la baisse de la consommation des ménages. Aussi, la hausse des taux d’intérêt limite le recours des entreprises au crédit, parfois par auto-censure, d’autres fois par la politique de resserrement de la demande de crédit par les banques.
Actuellement, la part importante des liquidations dans les petits commerces dans les défauts suggère un impact économique des défaillances (en termes d’emplois notamment) aussi dégradé qu’en 2009 et lors de la crise financière 2015-2016.
En conséquence de quoi avec la spirale inflationniste actuelle, la récession est en train de s’installer en Guadeloupe et en Martinique Autrement dit, en dépit des discours ambiants du gouvernement, les Guadeloupéens et Martiniquais auraient de quoi s’inquiéter très sérieusement de l’immobilisme des autorités compétentes. De quoi encore affaiblir l’économie de la Guadeloupe et de la Martinique qui est d’ailleurs directement menacée par la flambée du prix du pétrole, et la baisse de l’Euro ( 1,05 dollar pour un euro). Or, une devise dépréciée signifie une augmentation de l’inflation importée, donc une aggravation de la récession, des déficits publics et de la dette des collectivités locales… A l’évidence, la fin d’année 2023 s’annonce particulièrement compliquée pour l’Outre-Mer et l’ensemble du Vieux Continent. Selon une étude Ipsos-Sopra Steria, les Français n’auraient que faire des problématiques liées à la dette et aux déficits de l’Etat. Comment expliquer ce désintérêt généralisé ?
Mais chut ! Comme disait le Candide de Voltaire, «Tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles»…
La déconfiture du tissu économique de la Guadeloupe et de la Martinique se constate jour après jour à travers l’actualité. L’agriculture est moribonde, ( maraîchage, bananes et canne sont sur la ligne de crête d’alerte ).et le tourisme risque fort de pâtir de la baisse du pouvoir d’achat des métropolitains et de la cherté des billets d’avions. Malgré un secteur du commerce toujours en phase de stabilisation en raison de la politique de crédit des établissements financiers ( mais plus pour longtemps selon notre analyse du secteur bancaire ), la consommation est en chute, et quand on sait que le principal moteur de la croissance des Antilles reste la consommation des ménages (celle-ci représente en effet près de 74 % du PIB), la mauvaise orientation des dépenses des ménages depuis la fin de l’année ne pourrait qu’avoir de fortes répercutions sur la croissance.
Avec une hausse des prix à près de 6 %, la question du profit des entreprises qui opèrent sur le marché antillais surgira de nouveau dans le débat public. Beaucoup d’abus notamment des commerçants et industriels qui profitent d’un marché captif monopolistique pour accroître indûment leurs marges et qui de fait cristallisent la thématique récurrente de la vie chère en outre-mer.
Cela étant dit, nulles mesures fortes de changement de modèle économique et social à l’horizon de la part du gouvernement, et des autorités locales, qui elles, se contentent d’une politique de saupoudrage, mais jurons que tout celà risque fort de très mal se terminer., car l’erreur de diagnostic des décideurs est prégnante tant la nature de la crise est devenue structurelle et non plus conjoncturelle.
Les économies, notamment en Europe, se sont enlisées dans une croissance faible au point de parler de « décennie perdue ». Le vieillissement de la population, l’accélération du progrès technique et le ralentissement de la productivité, le changement climatique, font craindre une stagnation séculaire aux Antilles L’aplatissement de la courbe de l’inflation laisse planer le spectre de la déflation aux conséquences néfastes pour la consommation et l’investissement. . .
Il y a une face sombre à la révolution du numérique et de l’intelligence artificielle (IA) que nous ne pouvons ignorer. Si d’un côté, l’IA promet de rendre notre vie plus facile en prenant en charge des tâches répétitives et monotones, d’un autre côté, elle soulève des questions inquiétantes sur l’avenir du travail et le rôle de l’homme dans une société de plus en plus automatisée. C’est ainsi que c’est l’ensemble du secteur tertiaire aux Antilles qui est menacé de mort subite..
« Dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes. » Bossuet.
Nul doute que cette citation deviendra vraisemblablement un lieu commun d’une mouvance adepte de la politique de l’autruche assez large en Guadeloupe et Martinique et qui se targue d’être ce qu’on appelle la « bien-pensance « … Pa konet mové !!!
Jean-Marie Nol, économiste